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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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p't'êt' mieux que ce soit son oncle ou un ami de son père – p't'êt' – mais elle essaie tout de même auprès de celui qui est seul à être toujours là, même si c'est un gros cochon à lunettes.
    » Ah ! s'écrie-t-il en se levant, et en venant gesticuler devant moi, on pourrait m'répondre une bonne chose : si je revenais pas de la guerre, j'dirais : « Mon vieux, t'es fichu, plus de Clotilde, plus d'amour ! Tu vas être remplacé un jour ou l'autre dans son cœur. Y a pas à tourner : ton souvenir, le portrait de toi qu'elle porte en elle, il va s'effacer peu à peu et un autre se mettra dessus et elle recommencera une autre vie. » Ah ! si j'rev'nais pas ! »
    Il a un bon rire.
    – Mais j'ai bien l'intention de revenir ! Ah ! ça oui, faut être là. Sans ça !… Faut être là, vois-tu, reprend-il plus grave. Sans ça, si tu n'es pas là, même si tu as affaire à des saints ou à des anges, tu finiras par avoir tort. C'est la vie. Mais j'suis là.
    Il rit.
    – J'suis même un peu là, comme on dit !
    Je me lève aussi et lui frappe sur l'épaule.
    – Tu as raison, mon vieux frère. Tout ça finira.
    Il se frotte les mains. Il ne s'arrête plus de parler.
    – Oui, bon sang, tout ça finira. T'en fais pas.
    » Oh ! je sais bien qu'il y aura du boulot pour que ça finisse, et plus encore après. Faudra bosser. Et j'dis pas seulement bosser avec les bras.
    » Faudra tout r'faire. Eh bien, on refera. La maison ? Partie. Le jardin ? Plus nulle part. Eh bien, on refera la maison. On refera le jardin. Moins y aura et plus on refera. Après tout, c'est la vie, et on est fait pour refaire, pas ? On r'fera aussi la vie ensemble et le bonheur ; on refera les jours, on refera les nuits.
    » Et les autres aussi. Ils referont leur monde. Veux-tu que je te dise ? Ça sera peut-être moins long qu'on croit…
    » Tiens, j'vois très bien Madeleine Vandaërt épousant un autre gars. Elle est veuve ; mais, mon vieux, y a dix-huit mois qu'elle est veuve. Crois-tu qu'c'est pas une tranche, ça, dix-huit mois ? On n'porte même plus l'deuil, j'crois, autour de c'temps-là ! On ne fait pas attention à ça quand on dit : « C'est une garce ! » et quand on voudrait, en somme, qu'elle se suicide ! Mais, mon vieux, on oublie, on est forcé d'oublier. C'est pas les autres qui font ça ; c'est même pas nous-mêmes ; c'est l'oubli, voilà, je la retrouve tout d'un coup et de la voir rigoler ça m'a chamboulé, tout comme si son mari venait d'être tué d'hier – c'est humain – mais quoi ! Y a une paye qu'il est clamsé, le pauv' gars. Y a longtemps ; y a trop longtemps. On n'est plus les mêmes. Mais, attention, faut r'venir, faut être là ! On y sera et on s'occupera de redevenir ! »
    En chemin, il me regarde, cligne de l'œil et, ragaillardi d'avoir trouvé une idée où appuyer ses idées :
    – J'vois ça d'ici, après la guerre, tous ceux de Souchez se remettant au travail et à la vie… Quelle affaire ! Tiens, le père Ponce, mon vieux, ce numéro-là ! Il était si tellement méticuleux que tu l'voyais balayer l'herbe de son jardin avec un balai d'crin, ou, à genoux sur sa pelouse, couper le gazon avec une paire d'ciseaux. Eh bien, il s'paiera ça encore ! Et Mme Imaginaire, celle qu'habitait une des dernières maisons du côté du château de Carleul, une forte femme qu'avait l'air de rouler par terre comme si elle avait eu des roulettes sous le gros rond de ses jupes. Elle pondait un enfant tous les ans. Réglé, recta : une vraie mitrailleuse à gosses ! Eh bien a r'prendra c't'occupation à tour d'bras.
    Il s'arrête, réfléchit, sourit à peine, presque en lui-même :
    – … Tiens j'vais t'dire, j'ai r'marqué… Ça n'a pas grande importance, ça, insiste-t-il, comme gêné subitement par la petitesse de cette parenthèse – mais j'ai r'marqué (on r'marque ça d'un coup d'œil en r'marquant aut' chose), que c'était plus propre chez nous que d'mon temps…
    On rencontre par terre de petits rails qui rampent perdus dans le foin séché sur pied. Poterloo me montre, de sa botte, ce bout de voie abandonné, et sourit :
    – Ça, c'est notre chemin de fer. C'est un tortillard, qu'on appelle. Ça doit vouloir dire « qui se grouille pas ». Il n'allait pas vite ! Un escargot y aurait tenu le pied ! On le refera. Mais il n'ira pas plus vite, certainement. Ça lui est défendu !
    Quand nous arrivâmes en haut de la côte, il se retourna et jeta un

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