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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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J'suis sûr que tu n'as jamais vu ça ; ne pas retrouver sa maison où on a toujours vécu d'puis toujours…
    Il fait demi-tour, et c'est lui qui m'entraîne.
    – Ben, fichons l'camp, puisqu'y a plus rien. Quand on regard'ra la place des choses pendant une heure ! Mettons-les, mon pauv' vieux.
    On s'en va. Nous sommes les deux vivants faisant tache dans ce lieu illusoire et vaporeux, ce village qui jonche la terre, et sur lequel on marche.
    On remonte. Le temps s'éclaircit. La brume se dissipe très rapidement. Mon camarade qui fait de grandes enjambées, en silence, le nez par terre, me montre un champ :
    – Le cimetière, dit-il. Il était là avant d'être partout, avant d'avoir tout pris à n'en plus finir, comme une maladie du monde.
    À mi-côte, on avance plus lentement. Poterloo s'approche de moi.
    – Tu vois, c'est trop, tout ça. C'est trop effacé, toute ma vie jusqu'ici. J'ai peur, tellement c'est effacé.
    – Voyons : ta femme est en bonne santé, tu le sais ; ta petite fille aussi.
    Il prend une drôle de tête :
    – Ma femme… J'vas t'dire une chose : ma femme…
    – Eh bien ?
    – Eh bien, mon vieux, je l'ai r'vue.
    – Tu l'as vue ? Je croyais qu'elle était en pays envahi ?
    – Oui, elle est à Lens, chez mes parents. Eh bien, je l'ai vue… Ah ! et puis, après tout, zut !… Je vais tout te raconter ! Eh bien, j'ai été à Lens, il y a trois semaines. C'était le 11. Y a vingt jours, quoi.
    Je le regarde, abasourdi… Mais il a bien l'air de dire la vérité. Il bredouille, tout en marchant à côté de moi dans la clarté qui s'étend :
    – On a dit, tu t'rappelles p't'êt'… Mais t'étais pas là, j'crois… On a dit : faut renforcer le réseau de fils de fer en avant de la parallèle Billard. Tu sais c'que ça veut dire, ça. On n'avait jamais pu le faire jusqu'ici : dès qu'on sort de la tranchée, on est en vue sur la descente, qui s'appelle d'un drôle de nom.
    – Le toboggan.
    – Oui, tout juste, et l'endroit est aussi difficile la nuit ou par la brume, que par le plein jour, à cause des fusils braqués d'avance sur des chevalets et des mitrailleuses qu'on pointe pendant le jour. Quand i's n'voient pas, les Boches arrosent tout.
    » On a pris les pionniers de la compagnie hors rang, mais y en a qui ont filoché et on les a remplacés par quéqu' poilus choisis dans les compagnies. J'en ai été. Bon. On sort. Pas un seul coup de fusil ! « Quoi qu'ça veut dire ? », qu'on disait. Voilà-t-il pas qu'on voit un Boche, deux Boches, dix Boches, qui sortent de terre – ces diables gris-là ! – et nous font des signes en criant : « Kamarad ! » « Nous sommes des Alsaciens » qu'i' disent en continuant de sortir de leur Boyau International. « On vous tirera pas dessus, qu'i's disent. Ayez pas peur, les amis. Laissez-nous seulement enterrer nos morts. » Et v'là qu'on travaille chacun de son côté, et même qu'on parle ensemble, parce que c'étaient des Alsaciens. En réalité, i' disaient du mal de la guerre et de leurs officiers. Not' sergent savait bien qu'c'est défendu d'entrer en conversation avec l'ennemi et même on nous a lu qu'il fallait causer avec eux qu'à coups de flingue. Mais l'sergent s'disait que c'était une occasion unique de renforcer les fils de fer, et pisqu'ils nous laissaient travailler contre eux, y avait qu'à en profiter…
    » Or, voilà un des Boches qui s'met à dire : « Y aurait-i' pas quelqu'un d'entre vous qui soye des pays envahis et qui voudrait avoir les nouvelles de sa famille ? »
    » Mon vieux, ça a été plus fort que moi. Sans savoir si c'était bien ou mal, j'm'ai avancé, et j'ai dit : « Ben, y a moi. » Le Boche me pose des questions. J'y réponds que ma femme est à Lens, chez ses parents, avec la p'tite. I' m'demande où elle loge. J'y explique, et i' dit qu'i' voit ça d'ici. « Écoute, qu'i' m'dit, j'vas y porter une lettre, et non seul'ment une lettre, mais même la réponse j'te porterai. » Puis, tout d'un coup, i' s'frappe son front, c'Boche, et i' s'rapproche d'moi : « Écoute, mon vieux, bien mieux encore. Si tu veux faire c'que j'te dis, tu la verras, ta femme, et aussi tes gosses, et tout, comme j'te vois. » I' m'raconte que pour ça, y a qu'à aller avec lui, à telle heure, avec une capote boche et un calot qu'i' m'aura. I m'mêleraît à la corvée de charbon dans Lens ; on irait jusqu'à chez nous. J'pourrais voir, à condition de m'planquer et de n'pas

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