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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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fois où c'que j'en ai pus que marre.
    Et les fusils, tout en se ressemblant, diffèrent comme les écritures.
    – C'est curieux et bizarre, me dit Marthereau, on monte demain aux tranchées, et il n'y a pas encore de viande saoule ni d'futur bois, ce soir et – coute ! – pas de disputes encore. Tant qu'à moi…
    » Ah ! j'dis pas, concède-t-il tout de suite, que ces deux-là n'soient pas un peu garnis, ni un peu vaseux… Sans être tout à fait mûrs, ils ont l'nez sale, quoi… »
    – C'est Poitron et Poilpot, de l'escouade à Broyer.
    Ils sont couchés et parlent bas. On distingue le nez rond de l'un qui brille comme sa bouche, juste à côté d'une bougie, et sa main qui fait, un doigt levé, de petits gestes explicatifs suivis fidèlement par une ombre portée.
    – J'sais allumer le feu, mais j'sais pas l'rallumer quand il est éteint, déclare Poitron.
    – Ballot ! dit Poilpot, si tu sais l'allumer, tu sais l'rallumer, vu qu'si tu l'allumes, c'est qu'il a été éteint, et tu peux dire que tu l'rallumes quand tu l'allumes.
    – Tout ça c'est du bourre-mou. J'sais pas calculer et je m'fous des boniments que tu m'balances. J'te dis et j'te répète que, pour allumer un feu, j'suis là, mais pour l'rallumer quand i' s'a éteint, ça n'a rien à faire. J'peux pas mieux dire. Je n'entends pas l'insistance de Poilpot.
    – Mais bougre de nom de Dieu d'entêté, râle Poitron, pis que j'te dis trente fois que j'sais pas. Faut-i' qu'i' soye tête de cochon, tout de même !
    – C'est marrant, c't'écoutation-là, me confie Marthereau.
    En vérité, tout à l'heure, il a parlé trop vite.
    Une certaine fièvre, provoquée par les libations des adieux, règne dans le taudis plein de paille nuageuse où la tribu – les uns debout et hésitants, les autres à genoux et tapant comme des mineurs – répare, empile, assujettit ses provisions, ses hardes et ses outils. Un grondement de paroles, un désordre de gestes. On voit saillir dans les lueurs enfumées, des reliefs de trognes, et des mains sombres remuer au-dessus de l'ombre, comme des marionnettes.
    De plus, dans la grange attenante à la nôtre, et qui n'en est séparée que par un mur à hauteur d'homme, s'élèvent des cris avinés. Deux hommes, là, se prennent à partie avec une violence et une rage désespérées. L'air vibre des plus grossiers accents qui soient ici-bas. Mais l'un d'eux, un étranger d'une autre escouade, est expulsé par les locataires, et le jet d'injures de l'autre s'affaiblit et s'éteint.
    – Tant qu'à nous, on s'tient ! remarque Marthereau avec une certaine fierté.
    C'est vrai. Grâce à Bertrand, obsédé par la haine de l'alcoolisme, de cette fatalité empoisonnée qui joue avec les multitudes, notre escouade est une de celles qui sont le moins viciées par le vin et la gniole.
    … Ils crient, ils chantent, ils extravaguent tout autour. Et ils rient sans fin ; dans l'organisme humain, le rire fait un bruit de rouage et de chose.
    On essaye d'approfondir certaines physionomies qui se présentent avec un relief de touche émouvant dans cette ménagerie d'ombres, cette volière de reflets. Mais on ne peut pas. On les voit, mais on ne voit rien au fond d'elles.
    – Déjà dix heures, les amis, dit Bertrand. On finira de monter Azor demain. Il est temps de mettre la viande en torchon.
    Chacun, alors, se couche, lentement. Le bavardage ne cesse guère. Le soldat prend toutes ses aises chaque fois qu'il n'est pas absolument obligé de se dépêcher. Chacun va, vient, un objet à la main et je vois glisser sur le mur l'ombre démesurée d'Eudore qui passe devant une chandelle, en balançant au bout de ses doigts deux sachets de camphre.
    Lamuse s'agite à la recherche d'une position. Il semble mal à l'aise : quelle que soit sa capacité, aujourd'hui, manifestement, il a trop mangé.
    – Y en a qui veulent dormir ! Vos gueules, bande de vaches ! crie Mesnil Joseph, de sa couche.
    Cette exhortation calme un moment, mais n'arrête pas le brouhaha des voix ni les allées et venues.
    – C'est vrai qu'on monte demain, dit Paradis, et que, le soir, on file en première ligne. Mais personne n'y pense. On le sait, voilà tout.
    Petit à petit chacun a rejoint sa place. Je me suis étendu sur la paille, Marthereau s'emmaillote à côté de moi.
    Une masse colossale entre en prenant des précautions pour ne point faire de bruit. C'est le sergent infirmier, un frère mariste, énorme bonhomme à barbe et à

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