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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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pipe.
    – C'est vrai, c'est la misère ! J'ai pus d'mèche ! J'en avais quéqu'bouts, mais, allez, partez ! J'ai beau fouiller toutes les poches de mon étui à puces, rien. Et pour en acheter, comme tu dis, c'est midi.
    – Moi, j'ai un tout p'tit bout d'mèche que j'garde.
    Ça, c'est dur, en effet, et il est pitoyable de voir les poilus qui ne peuvent pas allumer leur pipe ou leur cigarette, et qui, résignés, les mettent dans la poche et se promènent. Par bonheur, Tirloir a son briquet à essence avec encore un peu d'essence dedans. Ceux qui le savent s'accumulent autour de lui, porteurs de leur pipe bourrée et froide. Et même pas de papier qu'on allumerait à la flamme du briquet : il faut se servir de la flamme même de la mèche et user le liquide qui reste dans son maigre ventre d'insecte.
    … Moi, j'ai eu de la chance… Je vois Paradis qui erre, sa bonne face au vent, en ronchonnant et en mâchant un bout de bois.
    – Tiens, lui dis-je, prends ça !
    – Une boîte d'allumettes ! s'exclame-t-il, émerveillé, en regardant l'objet comme on regarde un bijou. Ah, zut ! c'est chic, ça ! Des allumettes !
    Un instant après, on le voit qui allume sa pipe, sa figure en cocarde magnifiquement empourprée par le reflet de la flamme, et tout le monde se récrie et dit :
    – Paradis qu'a des allumettes !
    Vers le soir, je rencontre Paradis près des restes triangulaires d'une façade, à l'angle des deux rues de ce village misérable entre les villages. Il me fait signe :
    – Psst !…
    Il a un drôle d'air, un peu gêné.
    – Dis donc, tout à l'heure, me dit-il d'une voix attendrie, en regardant ses pieds, tu m'as balancé une boite de flambantes. Eh ben, tu s'ras récompensé d'ça. Tiens !
    Et il me met quelque chose dans la main.
    – Attention ! me souffle-t-il. C'est fragile !
    Ébloui de la splendeur et de la blancheur de son présent, osant à peine le croire, je reconnais… un œuf !

CHAPITRE SEIZIÈME
  Idylle
     
    – De vrai, me dit Paradis qui était mon voisin de marche, tu m'croiras si tu voudras, mais j'suis éreinté, j'suis surmonté… J'ai jamais eu marre d'une marche comme j'ai de celle-là.
    Il tirait le pied et penchait dans le soir son buste carré embarrassé d'un sac dont le profil élargi et compliqué et la hauteur paraissaient fantastiques. À deux reprises, il buta et trébucha.
    Paradis est dur. Mais il avait toute la nuit couru dans la tranchée en qualité d'homme de liaison pendant que les autres dormaient, et il avait des raisons d'être rendu.
    Aussi grognait-il :
    – Quoi ? Ils sont en caoutchouc, ces kilomètres, pas possible autrement.
    Et il rehaussait brusquement son sac tous les trois pas, d'un coup de reins, et ça tirait et il soufflait, et tout l'ensemble qu'il formait avec ses paquets ballottait et geignait comme une vieille patache surchargée.
    – On arrive, dit un gradé.
    Les gradés disent toujours cela, à tout propos. Or – nonobstant cette affirmation du gradé – on arrivait, en effet, dans le village vespéral où les maisons semblaient dessinées à la craie et à gros traits d'encre sur le papier bleuté du ciel, et où la silhouette noire de l'église – au clocher pointu, flanqué de deux tourelles plus fines et plus pointues – était celle d'un grand cyprès.
    Mais, quand il fait son entrée dans le village où il doit cantonner, le troupier n'est pas au bout de ses peines. Il est rare que l'escouade ou la section arrivent à se loger dans le local qui leur a été assigné : malentendus et doubles emplois, qui s'embrouillent et se débrouillent sur place, et ce n'est qu'au bout de plusieurs quarts d'heure de tribulations que chacun est mené à son définitif gîte provisoire.
    Nous fûmes donc, après les errements habituels, admis à notre cantonnement de nuit : un hangar soutenu par quatre madriers et ayant pour murs les quatre points cardinaux. Mais ce hangar était bien couvert : avantage appréciable. Il était occupé déjà par une carriole et une charrue, à côté desquelles on se casa. Paradis, qui n'avait cessé de maugréer et de geindre pendant l'heure des piétinements et allées et venues, jeta son sac, puis se jeta lui-même à terre, et resta là un bout de temps, assommé, se plaignant qu'il avait les membres sans connaissance et que la semelle de ses pieds lui faisait mal ; et toutes ses coutures aussi, du reste.
    Mais voici que la maison dont dépendait le hangar, et qui s'élevait

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