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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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m'remplumer, sans ça, en r'descendant, j'suis verdure.
    – T'es pas l'seul à avoir pas lourd dans son morlingue.
    – L'soldat dépense plus qu'n'gagne. Y a pas d'erreur. Je m'demande c'que d'viendrait celui qui n'aurait que son prêt.
    Paradis répondit avec une simplicité cornélienne :
    – I' crèv'rait.
    – Et tenez, moi, voilà ce que j'ai dans ma poche, qui ne me quitte pas.
    Et Pépin, l'œil émerillonné, montra un couvert en argent. – Il appartenait, dit-il, à la guenon où on a logé à Grand-Rozoy.
    – Il lui appartient peut-être bien encore ?
    Pépin eut un geste vague où l'orgueil se mêlait à la modestie, puis il s'enhardit, sourit et dit :
    – J'la connais, la vieille fouineuse. Sûr qu'elle va passer le restant de sa vie à le chercher partout, dans chaque coin, son couvert d'argent.
    – Moi, dit Volpatte, je n'ai jamais pu faucher qu'une paire de ciseaux. Y en a qui ont la veine. Pas moi. Aussi, nature si j'les garde précieusement, ces ciseaux, et pourtant j'peux dire qu'i' s n'me serv'nt pas de rien.
    – Moi, j'ai bien chapardé quéqu' petits machins par-ci par-là, mais qu'est-ce que c'est qu'ça ? Les sapeurs, i's m'ont toujours grillé pour la chose du fauchage, alors quoi ?
    – On a beau faire c'qu'on veut, on est toujours grillé par quelqu'un, pas, vieux frère ! T'en fais pas.
    – Eh là-d'dans, qui qui veut d'la teinturiotte ? cria l'infirmier Sacron.
    – Moi, j'garde les lettres de ma femme, dit Blaire.
    – Moi, j'les lui renvoie.
    – Moi, j'les garde. Les v'là.
    Eudore exhibe un paquet de papiers usés, luisants, dont la pénombre voile pudiquement la noirceur.
    – J'les garde. Quelquefois, j'les relis. Quand on a froid et qu'on a mal, j'les r'lis. Ça vous réchauffe pas, mais ça fait semblant.
    Cette drôle de phrase doit avoir un sens profond, car plusieurs ont relevé la tête et disent : « Oui, c'est ça. »
    La conversation continue à bâtons rompus au sein de cette grange fantastique, traversée de grandes ombres mouvantes, avec des entassements de nuit aux coins et les points souffreteux de quelques chandelles disséminées.
    Je les vois aller et venir, se profiler étrangement, puis s'abaisser, s'affaler sur le sol, ces déménageurs affairés et encombrés, qui soliloquent ou s'interpellent, les pieds empêtrés dans les choses. Ils se montrent l'un à l'autre leurs richesses.
    – Tiens, r'garde !
    – Tu parles ! répond-on avec envie.
    On voudrait avoir tout ce qu'on n'a pas. Et il y a dans l'escouade des trésors légendairement enviés par tous : par exemple, le bidon de deux litres détenu par Barque et qu'un talentueux coup de fusil à blanc a dilaté jusqu'à la contenance de deux litres et demi ; le célèbre grand couteau à manche de corne de Bertrand.
    Dans le fourmillement tumultueux, des regards de côté effleurent ces objets de musée, puis chacun se remet à regarder devant soi, chacun se consacre à sa « camelote » et s'acharne à la mettre en ordre.
    Triste camelote, en effet. Tout ce qui est fabriqué pour le soldat est commun, laid, et de mauvaise qualité, depuis leurs souliers en carton découpé, aux pièces attachées ensemble par des grillages de méchant fil, jusqu'à leurs vêtements mal taillés, mal bâtis, mal cousus, mal teints, en drap cassant et transparent du papier buvard qu'un jour de soleil fait passer, qu'une heure de pluie transperce, jusqu'à leurs cuirs amincis à l'extrême, friables comme des copeaux et que déchirent les tenons, leur linge de flanelle plus maigre que du coton, leur tabac qui ressemble à de la paille.
    Marthereau est à côté de moi. Il me désigne les camarades :
    – R'garde-les, ces pauv' vieux qui ar'rgardent leur capharnion. Tu croirais une flopée d'mères zyeutant leurs p'tits. Coute-les. I's appellent leurs trucs. Tiens, çui-là, dès lors qu'i' dit : « Mon couteau ! » C'est kif comme s'i' disait : « Léon, ou Charles, ou Dolphe. » Et, tu sais, impossible pour eux de diminuer son chargement. C'est pas vrai. C'est pas qu'i' veul'tent pas – vu que l'métier c'est pas ça qui vous renfortifie, pas ? – C'est qu'i's peuv'tent pas. Ils ont trop d'amour pour.
    Le chargement ! Il est formidable, et on sait bien, parbleu, que chaque objet le rend un peu plus méchant, que chaque petite chose est une meurtrissure de plus.
    Car il n'y a pas que ce qu'on fourre dans ses poches et dans ses musettes. Il y a, pour compléter le barda, ce qu'on

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