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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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moitié sur son séant. J'entends sa voix éraillée :
    – Ben quoi, c'est la pleine nuit, et v'là un coq qui pousse son gueulement. Il est mûr, c'coq.
    Et il rit, en répétant : « Il est mûr, c'coq », et il se rentortille dans la laine et se rendort avec un gargouillis où le rire se mêle de ronflements.
    Cocon a été réveillé par Pinégal. Alors, l'homme-chiffre pense tout haut et dit :
    – L'escouade avait dix-sept hommes quand elle est partie pour la guerre. Elle en a, à présent, dix-sept aussi, avec les bouchages de trous. Chaque homme a déjà usé quatre capotes, une du premier bleu, trois bleu fumée de cigare, deux pantalons, six paires de brodequins. Il faut compter par bonhomme deux fusils : mais on ne peut pas compter les salopettes. On a renouvelé vingt-trois fois nos vivres de réserve. À nous dix-sept, nous avons eu quatorze citations, dont deux à la brigade, quatre à la division et une à l'armée. On est resté une fois seize jours dans les tranchées sans arrêt. On a été cantonné et logé dans quarante-sept villages différents jusqu'ici. Depuis le commencement de la campagne, douze mille hommes sont passés par le régiment, qui en a deux mille.
    Un étrange zézaiement l'interrompt. C'est Blaire que son râtelier neuf empêche de parler, comme il l'empêche aussi de manger. Mais il le met chaque soir, et il le garde toute la nuit avec un courage acharné, car on lui a promis qu'il finirait par s'habituer à cet objet qu'on lui a inséré dans la tête.
    Je me soulève à demi comme sur un champ de bataille. Je contemple encore une fois ces créatures qui ont roulé ici l'une sur l'autre parmi les régions et les événements. Je les regarde tous, enfoncés dans le gouffre d'inertie et d'oubli, au bord duquel quelques-uns semblent se cramponner encore, avec leurs préoccupations pitoyables, avec leurs instincts d'enfants et leur ignorance d'esclaves.
    L'ivresse du sommeil me gagne. Mais je me rappelle ce qu'ils ont fait et ce qu'ils feront. Et devant cette profonde vision de pauvre nuit humaine qui remplit cette caverne sous son linceul de ténèbres, je rêve à je ne sais quelle grande lumière.

CHAPITRE QUINZIÈME
  L'œuf
     
    On était désemparés. On avait faim, on avait soif et dans ce malheureux cantonnement, rien !
    Le ravitaillement, d'ordinaire régulier, avait fait défaut, alors, la privation arrivait à l'état aigu.
    Un groupe hâve grinçait des dents, et la maigre place faisait cercle tout autour, avec ses poternes décharnées, avec ses ossements de maisons, et ses poteaux télégraphiques chauves. Le groupe constatait l'absence de tout :
    – L'caoutchouc a fait l'mur, nib de bidoche, et on s'met la ceinture d'électrique.
    – Quant au fromgi macache, et pas pu d'confiture que d'beurre en broche.
    – On n'a rien, sans fifrer, on n'a rien, et toute la rouscaillure n'y f'ra pas rien.
    – Aussi, tu parles d'un cantonnement à la manque ! trois canfouines avec rien d'dans, que des courants d'air et d'la flotte !
    – Ça n'sert à rien d'être aux as, ta blanche, c'est comme si t'avais peau d'balle dans ton morlingue, pisqu'y a pas d'marchands.
    – Tu s'rais Rotschild ou bien un tailleur militaire, ta fortune servirait à quoi ?
    – Hier, y avait un p'tit macaou qui ronronnait du côté de la 7 e . J'suis sûr qu'ils ont croûté c'macaou.
    – Oui, j'sais, et encore, on lui voyait les côtes comme au bord de la mer.
    – Y a pas à s'démieller, c'est comme ça.
    – Y en a, dit Blaire, qui ont fait vite en arrivant, et i's s'sont vus trouver à acheter qué'qu' bidons d'pinard chez l'quénaupier qu'est au coinsteau d'la rue.
    – Ah ! les vaches ! I's sont vernis, ceux-là d'pouvoir s'glisser ça le long du cou !
    – Faut dire que c'était d'la saloperie : du vin à culotter les quarts comme des pipes.
    – Y en a même, qu'on dit, qui ont voracé un piquenterre !
    – Hildepute ! dit Fouillade.
    – Moi, j'm'ai presque pas cogné la tête : i' m'restait une sardine, et, dans l'fond d'un sachet, du thé qu'j'ai mâché avec du sucre.
    – L'fait est qu'pour prendre une muflée, c'est pas vrai.
    – C'est pas assez, tout ça, même si tu mange pas beaucoup, et qu't'as l'boyau plat.
    – D'puis deux jours, une soupe : un trucmuche jaune, brillant comme de l'or. Pas du bouillon, d'la friture ! Tout est resté.
    – On l'a coulé en chandelles, faut croire.
    – L'pus pire, c'est qu'on n'peut pas allumer sa

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