Le Feu (Journal d'une Escouade)
porte sur son dos.
Le sac, c'est la malle et même c'est l'armoire. Et le vieux soldat connaît l'art de l'agrandir quasi miraculeusement par le placement judicieux de ses objets et provisions de ménage. En plus du bagage réglementaire et obligatoire – les deux boîtes de singe, les douze biscuits, les deux tablettes de café et les deux paquets de potage condensé, le sachet de sucre, le linge d'ordonnance et les brodequins de rechange – nous trouvons bien moyen d'y mettre quelques boîtes de conserves, du tabac, du chocolat, des bougies et des espadrilles, voire du savon, une lampe à alcool, et de l'alcool solidifié et des lainages. Avec la couverture, le couvre-pied, la toile de tente, l'outil portatif, la gamelle et l'ustensile de campement, il grossit, grandit et s'élargit, et devient monumental et écrasant. Et mon voisin dit vrai : chaque fois, quand il arrive à son poste après des kilomètres de route et des kilomètres de boyaux, le poilu se jure bien que, la prochaine fois, il se débarrassera d'un tas de choses et se délivrera un peu les épaules du joug du sac. Mais, chaque fois qu'il se prépare à repartir, il reprend cette même charge épuisante et presque surhurnaine ; et il ne la quitte jamais, bien qu'il l'injurie toujours.
– Y a des malins gars qu'on l'filon, dit Lamuse, et qui trouv'nt l'joint pour coller quéqu'chose dans la voiture de compagnie ou la voiture médicale. J'en connais un qu'a deux liquettes neuves et un can'çon dans la cantine d'un adjupette – mais, tu comprends, t'es tout d'suite deux cent cinquante bonhommes à la compagnie, et l'truc est connu et y en pas besef qui peuv'nt le profiter : surtout des gradés ! tant plus i' sont sous-offs, tant pus i' sont sucrés pour carrer leur fourbi. Sans compter que l'commandant, i' visite les voitures, des fois, sans t'avertir et l' t'fout tes frusques au beau milieu de la route s'il les trouve dans une bagnole où c'est pas vrai : allez partez ! sans compter l'engueulade et la tôle.
– Dans les premiers temps, c'était franc, mon vieux. Y en avait, j'l'ai vu, qui collaient leurs musettes et même leur armoire dans une voiture de gosse qu'i's poussaient sur la route.
– Ah ! tu parles ! c'était l'bon temps d'la guerre ! Mais on a changé tout ça.
Sourd à tous les discours, Volpatte, affublé de sa couverture comme d'un châle, ce qui lui donne l'air d'une vieille sorcière, tourne autour d'un objet qui gît par terre.
– J'm'demande, dit-il, en ne s'adressant à personne, si j'vas emporter ce sale bouteillon-là. C'est l'seul de l'escouade et j'l'ai toujours porté. Oui, mais i' fuit comme un panier à salade.
Il ne peut pas prendre une décision, et c'est une vraie scène de séparation.
Barque le considère de côté et se moque de lui. On l'entend qui dit : « Gaga, maladif. » Mais il s'arrête dans son persiflage :
– Après tout, on s'rait à sa place, qu'on s'rait aussi con qu'lui.
Volpatte remet sa décision à plus tard :
– J'verrai ça demain au matin, quand j'mont'rai Phîlibert.
Après l'inspection et le remplissage des poches, c'est au tour des musettes, puis des cartouchières, et Barque disserte sur le moyen de faire entrer les deux cents cartouches réglementaires dans les trois cartouchières. En paquets, c'est impossible. Il faut les dépaqueter, et les placer l'une à côté de l'autre debout, tête-bêche. On arrive ainsi à bonder chaque cartouchière sans laisser de vide et à se faire une ceinture qui pèse dans les six kilos. Le fusil est nettoyé déjà… On vérifie l'emmaillotage de la culasse et le bouchage – précautions indispensables à cause de la terre des tranchées.
Il s'agit de reconnaître facilement chaque fusil.
– Moi, j'ai fait des entailles dans la bretelle. Tu vois, j'ai découpé l'bord.
– Moi, j'y ai enroulé, en haut, à la bretelle, un cordon de soulier et comme ça, je l'reconnais à la main comme avec l'œil.
– Moi, un bouton mécanique. Pas d'erreur. Dans l'noir je l'sens tout de suite et j'dis : « C'est ma carabine. » Pa'ce que, tu comprends, y a des gars qui s'en font pas, i's s'les roulent pendant que l'copain nettèye, pis i' s'foulent l'poignet en douce sur la clarinette de la poire qu'a nettéyé ; pis même i's n'ont pas la trouille ed' dire, après : « Mon capitaine, j'ai un fusil qu'est olrède. » Moi, j'marche pas dans la combine. C'est l'système D, et l'système D, mon vieux phénomène, y a des
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