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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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lunettes, qu'on sent, lorsqu'il a ôté sa capote et qu'il est en veste, gêné de montrer ses jambes. On voit se hâter discrètement cette silhouette d'hippopotame barbu. Il souffle, soupire, marmotte.
    Marthereau me le désigne de la tête, et me dit tout bas :
    – Regarde-le. C'gens-là, il faut toujours qu'i's disent des blagues. Quand on lui d'mande ce qu'i' fait dans l'civil, i' n'dit pas : « J'suis frère des écoles » ; i' dit, en vous r'luquant par en dessous ses lunettes avec la moitié d'ses yeux : « J'suis professeur. » Quand i' s'lève très tôt pour aller à la messe, et qu'il voit qu'il vous réveille, il n'dit pas : « J'vais à la messe », i' dit : « J'ai mal au ventre. Faut que j'aille faire un tour aux feuillées, y a pas d'erreur. »
    Un peu plus loin, le père Ramure parle du pays.
    – Chez nous, c'est un petit patelin qu'est pas grand. Tout l'jour il y a mon vieux qui culotte des pipes ; qu'i' travaille ou qu'i' s'r'pose, i' pousse sa fumée dans l'grand air ou dans la fumée d'la marmite…
    J'écoute cette évocation champêtre, qui prend soudain un caractère spécialisé et technique :
    – Pour ça, i' prépare un paillon. Tu sais c'que c'est qu'un paillon ? Tu prends la tige du blé vert, t'ôtes la peau. Tu fends en deux, pis encore en deux, et tu as des grandeurs différentes, comme qui dirait des numéros différents. Pis avec un fil et les quatre brins de paille, il entoure la verge de la pipe.
    Cette leçon s'interrompt, aucun auditeur ne s'étant manifesté.
    Il n'y a plus que deux bougies allumées. Une grande aile d'ombre couvre l'amas gisant des hommes.
    Des conversations particulières voltigent encore dans le primitif dortoir. Il m'en arrive des bribes aux oreilles.
    Le père Ramure, à présent, déblatère contre le commandant :
    – L'commandant, mon vieux, avec ses quat' ficelles, j'ai remarqué qu'i n'savait pas fumer. I' tire à tour de bras sur ses pipes, et il les brûle. C'est pas une bouche qu'il a dans la tête, c'est une gueule. Le bois se fend, se grille et, au lieu d'être du bois, c'est du charbon. Les pipes en terre, elles résistent mieux, mais tout de même, il les rissole. Tu parles d'une gueule. Aussi, mon vieux, écoute-moi bien c'que j'te dis : il arrivera ce qui n'est souvent arrivé jamais : à force d'être poussée à blanc et cuite jusqu'aux moelles, sa pipe lui pétera dans le bec, devant tout l'monde. Tu voiras.
    Peu à peu, le calme, le silence et l'obscurité s'établissent dans la grange et ensevelissent les soucis et les espoirs de ses habitants. L'alignement de paquets pareils que forment ces êtres enroulés côte à côte dans leurs couvertures semble une espèce d'orgue gigantesque d'où s'élèvent des ronflements divers.
    Déjà le nez dans la couverture, j'entends Marthereau qui me parle de lui-même.
    – J'suis marchand de chiffons, tu sais, dit-il, chiffonnier, pour mieux dire, mais tant qu'à moi, je l'suis en gros ; j'achète aux petits chiffonniers d'la rue, et j'ai un magasin, un grenier, quoi ! qui m'sert de dépôt. J'fais tout l'chiffon, à dater du linge jusqu'à la boîte de conserves, mais principalement le manche de brosse, le sac et la savate ; et, naturellement, j'ai la spécialité des peaux d'lapin.
    Et, je l'entends, encore, un peu plus tard, qui me dit :
    – Tant qu'à moi, tout petit et mal foutu que je suis, je porte encore un curond de cent kilos au grenier, à l'échelle, et avec des sabots aux pieds… Une fois, j'ai eu affaire à une espèce d'individu interloque, vu qu'i s'occupait, qu'on disait, à traire les blanches, eh bien…
    – Milédi, c'que j'peux pas blairer, hé, s'écrie tout d'un coup Fouillade, c'est c't'exercice et ces marches qu'on nous esquinte pendant le repos, j'en ai l'rein hachuré, et j'peux pas roupiller, courbaturé comme je le suis.
    Bruit de ferraille du côté de Volpatte. Il s'est décidé à monter son bouteillon, tout en le gourmandant d'avoir ce funeste défaut d'être troué.
    – Oh là là, quand ce s'ra-t-i' fini, toute c'te guerre ! gémit un demi-dormeur.
    Un cri de révolte entêté et incompréhensif jaillit :
    – I's veul'nt not' peau !
    Puis c'est un : « T'en fais pas ! » aussi obscur que le cri de révolte.
    … Je me réveille longtemps après, tandis que deux heures sonnent et je vois dans une blafarde clarté, sans doute lunaire, la silhouette agitée de Pinégal. Un coq, au loin, a chanté. Pinégal se soulève à

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