Le Fils de Pardaillan
comprenant que sa vie dépendait de son obéissance, elle sortit et attendit sur le palier. Jehan prit la cassette et chercha des yeux où il pourrait la mettre.
– Non ! fit-il en secouant la tête, il vaut mieux que je l’emporte… ce sera plus prudent.
Et il rejoignit Colline Colle. D’un coup d’œil circulaire, il inspecta les lieux. Il vit que pour entrer dans l’appartement de la jeune fille il n’y avait pas d’autre porte que celle devant laquelle il se trouvait. La clé était sur la porte. Il ferma à double tour et la mit dans sa poche.
– L’autre clé, fit-il d’un ton bref.
Elle feignit de ne pas comprendre et de son air le plus ingénu :
– Quelle clé ?…
– Tu dois avoir une autre clé… donne-la.
– Je vous jure…
Il lui mit la main au cou et :
– La clé, répéta-t-il froidement, ou je serre !
C’est qu’il serrait déjà, le brigand ! Quel démon déchaîné était-ce là ?… Le mieux était de ne pas chercher à ruser avec lui, filer doux, obéir passivement, sa vie ne tenait qu’à un fil. Elle le comprenait bien. Elle suffoqua :
– Venez !…
Il la lâcha. Elle aspira une bouffée d’air et piteusement :
– Elle est en bas.
– Descends.
Elle obéit aussi précipitamment que ses jambes flageolantes le lui permettaient, et en descendant l’escalier, elle se lamentait intérieurement, avec force signes de croix :
– Jésus ! c’est le diable en personne !… Vierge sainte, venez à mon secours !
Chez elle, définitivement domptée, elle chercha en hâte la double clé réclamée d’aussi irrésistible manière et la tendit d’une main tremblante, n’ayant plus qu’un seul souci : le voir filer au plus tôt. Il s’en saisit et sur un ton qui la fit frissonner :
– Si tu essayes de t’introduire à nouveau chez la demoiselle, je le saurai… Alors, écoute : je te crève les yeux pour que tu ne cherches plus à voir ce que tu ne dois pas voir…
Elle ferma les yeux de toutes ses forces et songea avec terreur aux trois brigands de l’homme masqué qui lui avaient fait la même promesse, ou à peu près.
– Et je t’arrache la langue, continua Jehan d’un air terrible, pour que tu ne puisses raconter à personne ce que tu as surpris. Tu m’entends ?…
Blême, se soutenant à peine, claquant des dents, en proie à une terreur folle, elle n’eut que la force d’esquisser un signe de tête affirmatif.
– Bon !… Ouvre-moi la porte de la rue.
Ah ! Jésus, Dieu ! elle ne demandait pas mieux… elle ne demandait même que cela… le voir loin, aussi loin que possible, au plus profond des enfers !… Elle retrouva incontinent les forces nécessaires et se rua sur la porte qu’elle ouvrit toute grande. Avant de franchir le seuil, il lança, en guise d’adieu :
– Je reviendrai bientôt mettre un solide cadenas là-haut… De cette façon, je serai plus tranquille. D’ici là, retiens bien ce que je t’ai promis.
Il sortit enfin.
Alors, elle se jeta sur la porte à corps perdu, la poussa, tira les verrous, tourna la clé dans la serrure, avec une hâte maladroite, comme si tous les démons d’enfer eussent menacé d’entrer et en se barricadant, elle souhaitait :
– Puisses-tu te rompre le cou en descendant les marches !… Puisse le diable, ton patron, t’étrangler de ses doigts crochus… Puissé-je ne jamais te revoir que pendu par le col, la langue pendante jusque sur la poitrine.
Ayant déchargé sa bile, la réaction se produisant, elle se trouva sans forces et se traîna péniblement jusqu’à sa chambre. Elle se laissa tomber sur une chaise et resta là un bon moment, hébétée, la tête vide de pensées.
Enfin elle se remit, le calme lui revint peu à peu et avec lui, son esprit de ruse et d’astuce reprit le dessus. Elle se mit à rire d’un rire silencieux et fouilla dans sa poche. Elle en sortit l’étui qu’elle y avait mis par distraction et un de ces fameux feuillets qu’elle n’était pas capable de comprendre. Et en riant, elle marmonnait :
– C’est jeune, c’est fort, c’est violent… Mais moi, je suis rusée… et adroite. Et pendant qu’il fermait la fenêtre, j’ai pu soustraire ce pauvre petit morceau de papier… C’en est un !… un de ceux qui contiennent les fameuses indications !… peut-être.
Elle contempla le papier et :
– Ce doit être du latin… je reconnais des mots comme j’en vois dans mon missel.
Mais, cette fois-ci,
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