Le Fils de Pardaillan
en revenir à Jehan, le voir condamner comme régicide, c’était superbe !… Jamais je n’aurais osé espérer pareil raffinement de vengeance… songez un peu aux supplices qui l’attendaient !… (Et avec un affreux soupir.) Quel malheur que la chose n’ait pas réussi !… Jamais je ne trouverai quelque chose d’aussi beau, d’aussi complet !…
Léonora le regarda. Il paraissait vraiment désespéré. Elle demeura impassible. Que lui importait le sort de Jehan ? Curieusement, elle s’informa :
– Et maintenant que vas-tu faire ?
Il la regarda d’un air étonné et, avec une résolution farouche :
– Mais… toujours la même chose, dit-il. Le pousser au-devant du bourreau. (Et avec un haussement d’épaules.) Que voulez-vous, signora, c’est une idée que j’ai bien ancrée là. (Il se touchait le front.) Rien ne m’en fera démordre. Je l’ai sauvé de la mort quand il était petit. Aujourd’hui qu’il est homme et de taille à se défendre, je vous jure, si je le voyais dans quelque périlleuse situation, je n’hésiterais pas à risquer ma peau pour le tirer d’affaire… Si quelqu’un menaçait son existence, je tuerais celui-là de ma propre main et sans miséricorde.
Et sur un ton terrible qui n’admettait pas de réplique :
– Jehan doit périr sur l’échafaud… C’est là qu’il périra. Jehan doit mourir de la main du bourreau. Et, moi vivant, nulle autre main ne lui portera le coup mortel. Moi vivant, nul ne pourra le soustraire au sort que je lui ai fixé !
Il y avait comme une sourde menace dans l’intonation de ces paroles. Léonora n’y prêta pas garde, ou la dédaigna.
– C’est ce que j’ai voulu dire, fit-elle tranquillement. Comment comptes-tu le livrer au bourreau ?
Saêtta eut un sourire livide.
– Voici mon nouveau projet, dit-il. Je vais mettre Jehan sur la piste du trésor de sa mère… ou, pour mieux dire, de son trésor, car sa mère le lui a légué. Bien entendu, il ignorera la vérité. Pour lui, il s’agira d’une somme à soustraire… d’un vol, pour appeler les choses par leur nom. Ceci sera dur à obtenir de lui, car il a ses idées… mais c’est mon affaire, c’est à moi de le décider. Lorsqu’il le sera, ce trésor que nul n’a pu trouver, il le découvrira, lui, je vous en réponds. Alors…
– Alors ?
– Vous interviendrez, vous, signora. Comment ? C’est votre affaire. (Il eut un sourire narquois.) Moi, je m’en rapporte à vous. Je suis sûr de ce qu’il aura trouvé, lui, vous saurez vous arranger pour le faire entrer dans vos coffres… Seulement, maintenant que vous savez quel est le but que je poursuis (sa voix se fit rude), je compte sur vous pour le faire délicatement cueillir au bon moment. Pris en flagrante tentative de vol, son compte sera bon… Qu’il soit condamné comme régicide ou comme voleur, pourvu qu’il soit condamné, c’est tout ce que je demande, moi.
Léonora réfléchissait profondément :
– Pourquoi, dit-elle au bout d’un instant, pourquoi ne pas le faire arrêter dès maintenant ? Ce serait plus simple, il me semble.
– Vous n’avez donc pas compris, signora ? Je ne veux pas qu’on l’envoie pourrir dans un cachot, moi !… Je veux une condamnation en bonne et due forme… avec une belle exécution publique !
– Ne sais-tu pas, dit Léonora avec un sourire livide, qu’on peut toujours s’arranger ?
– Non, par le diable ! Je veux que la condamnation soit méritée !… Je veux que le populaire qui se pressera sur le passage du condamné puisse justement lui reprocher son crime !… Et puis (il eut un sourire goguenard) vous oubliez le trésor, signora ! Le précieux, le merveilleux, le prodigieux trésor !… Si vous faites coffrer Jehan tout de suite, qui donc, je vous le demande, ira vous le dénicher, ce mignon trésor ?
– C’est juste ! fit Léonora convaincue. Alors, pour arriver au résultat que tu désires, c’est-à-dire à la condamnation de Jehan, je suis obligée de faire intervenir la reine et de lui donner, à mon tour, ce trésor.
– Ceci vous regarde, dit froidement Saêtta. Et en lui-même il songeait :
– Beau sacrifice, ma foi… Comme si je ne savais pas que ces millions ne feront que passer dans les coffres de la reine pour tomber immédiatement dans les tiens !
Léonora reprit très sérieusement :
– Oui, je ne vois que ce moyen de te satisfaire. Je l’emploierai donc. Tu vois, Saêtta,
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