Le Fils de Pardaillan
question, tu oublieras bien un peu de venir m’ouvrir cette porte, hein ?
Concini ne songea pas à se froisser du doute injurieux que contenait cette question. L’espoir pénétra dans son esprit, et vivement, avec plus d’assurance :
– Non ! dit-il. Tu ne répondras que lorsque tu seras libre et que je t’aurai versé la somme convenue.
Jehan ne s’étonna pas de la confiance que lui témoignait le favori. Il la trouva toute naturelle, de même que Concini avait paru trouver naturel qu’il se défiât de lui.
– Bon, dit-il. (Et cette fois il ne raillait pas.) Qui te dit qu’une fois libre, je n’empocherai pas ton or et te tirerai ma révérence sans répondre à cette fameuse question ?
– Tu me donneras ta parole avant de sortir. J’ai confiance en toi, moi.
Notez bien, lecteur, que Concini ne mentait pas. Il avait réellement pleine confiance en la parole de l’homme qu’il haïssait. Notez aussi que Jehan, menacé d’une mort hideuse, eut pu promettre et ne pas tenir compte ensuite d’une promesse extorquée par la menace. Nous croyons ne pas trop nous avancer en disant que pas un de vous, lecteurs, n’aurait le triste courage de le lui reprocher. Eh bien, ce jeune homme, qui jusqu’à ce jour avait vécu de rapines, se fût cru déshonoré en manquant à sa parole. Cette idée ne l’effleura même pas.
Très intrigué, il se contenta de demander avec une vague méfiance :
– Voyons la question, d’abord.
Concini tressaillit de joie, et dans son esprit cria :
– Il parlera !…
En effet, comment admettre qu’un homme serait assez fou pour se condamner lui-même à une mort horrible, alors que d’un mot il pouvait acheter la vie, la liberté et la fortune ?
Penché sur son grillage, l’œil enflammé, haletant, convulsé, d’une voix basse, ardente, Concini demanda :
– Dis-moi seulement où tu as conduit cette jeune fille ?
Si son attention passionnée n’avait pas été exclusivement portée sur cette réponse qu’il attendait anxieusement, Concini eût peut-être entendu comme un sanglot étouffé qui venait d’éclater près de lui.
Mais la vie de Concini était uniquement concentrée au-delà de ce trou sur lequel il se penchait. Rien n’existait en dehors de cela. Il n’entendit donc rien.
Rien que l’éclat de rire sonore qui jaillit soudain de ces lèvres auxquelles il était pour ainsi dire suspendu, rien que la voix de Jehan qui disait plus railleuse que jamais :
– Que je te dise où elle est ?… Seulement ?… Concini haleta :
– Oui, cela seulement !… Et tu es libre, et je te fais riche !… Réponds.
Jehan songeait, pris d’une subite colère contre lui-même :
– Je suis un incorrigible niais !… Voici plus d’un quart d’heure que je perds à écouter les incongruités de Concini. Je devrais pourtant savoir que c’est un cuistre, un pleutre incapable d’apprécier un sentiment noble ou délicat. Et s’il se retire avant que j’aie pu lui servir la petite histoire que j’ai préparée expressément pour lui, je serai perdu… et par ma faute. Allons, il est temps.
Et il se redressa de toute sa hauteur. Sa physionomie se fit dure, froidement résolue. Sa voix se fit brève, tranchante. A le voir et à l’entendre, on n’eût jamais soupçonné l’angoisse qui, malgré lui, l’étreignait à la gorge.
– Concini, dit-il, toi qui as des espions partout, qui te renseignent sur tout, tu dois savoir ceci : le roi, la nuit dernière, a refusé l’escorte que lui proposait M. de Praslin, il a refusé celle de M. de Neuvy pour accepter celle de deux inconnus avec qui il s’en est allé promener paisiblement…
Oui, Concini savait cela. Praslin ou La Varenne, peut-être tous les deux, n’avaient pas su tenir leur langue. On parlait à mots couverts de l’aventure. On s’inquiétait de connaître le nom de ces deux inconnus (les noms n’avaient pas été divulgués) honorés de la confiance royale et qui pouvaient devenir des personnages à ménager.
Concini savait tout cela. Il dressa l’oreille. Mais, comme il ne devinait pas encore en quoi cette histoire pouvait l’intéresser, comme l’impatience et la crainte d’une déconvenue le tenaillaient, il gronda furieusement :
– Misérable !… Que m’importent le roi et ces deux inconnus !… C’est d’elle que je te parle !… Elle que je veux retrouver, dussé-je…
Paisiblement, Jehan interrompit :
– Je suis l’un de ces
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