Le Fils de Pardaillan
gentilshommes. Je crois, mais je ne suis pas sûre. Par conséquent, je tiens son histoire pour réelle et véridique. Je commettrais une faute grave si je ne la jugeais pas ainsi.
– Alors, j’en reviens à ma question, dit Concini avec impatience. Si tu crois qu’il a dit vrai, pourquoi m’avoir empêché de le délivrer ? Explique-toi une bonne fois, sang Dieu !
Léonora haussa dédaigneusement les épaules :
– Comment n’as-tu pas compris que le délivrer sous le coup d’une menace – car c’est une belle et bonne menace qu’il te faisait – c’était nous livrer à tout jamais à sa merci ?
– Parbleu ! si tu crois que je ne l’ai pas compris. Mais quoi ?… Ne devons-nous pas parer au plus pressé et sauver nos têtes d’abord ?
Léonora le considéra attentivement et :
– Demain, dans huit jours, dans un an, tant que le roi vivra, ce
bravo
serait venu nous menacer. Il aurait pu nous extorquer autant d’or qu’il aurait voulu. Tu lui en aurais donné, Concino ?
Concini se promenait rageusement et avec colère, il avoua :
– Que faire à cela ?… Je lui aurais donné tout ce qu’il aurait voulu… Je tiens à ma tête, moi !
Léonora sourit dédaigneusement. Et en l’étudiant plus curieusement :
– Et tu aurais renoncé à le frapper… Puisque la menace qu’il t’a faite aujourd’hui, il pourrait la renouveler tant que le roi sera vivant.
Concini se mordit les poings avec fureur, il grommela des imprécations affreuses. Mais il ne répondit pas. Ce qui revenait à dire qu’il acquiesçait.
– Et pourtant, tu le hais bien ? dit lentement Léonora.
– Si je le hais ! explosa Concini, c’est-à-dire que pour pouvoir le faire mourir à ma guise, lentement, à petit feu, je donnerais dix ans de ma vie !
Encore une fois, Léonora leva les épaules avec dédain. Et d’une voix terrible, à force de froideur :
– Moi, dit-elle, si je haïssais mortellement quelqu’un, ce n’est pas dix ans de ma vie que je donnerais pour l’atteindre. C’est ma vie tout entière, et sans hésitation aucune.
Et comme Concini se taisait, elle reprit avec un calme sinistre :
– Donc tu hais mortellement Jehan et tu n’oses pas le condamner parce que tu as peur pour ta peau. Moi, je ne le hais pas… Mais il s’est dressé devant moi la menace à la bouche, mais il a fait avorter des plans que j’avais lentement élaborés, longuement préparés, mais il est un obstacle vivant à des projets que j’ai conçus. Je ne le hais pas… et je le condamne et il périra, je te le jure.
Concini, frissonnant, la considéra un moment avec une admiration sincère. Au bout d’un instant d’un silence lourd, menaçant, il mâchonna :
– Tu le condamnes ! Eh !
per la madonna !
ce n’est pas moi qui chercherais à le sauver. Mais… en attendant, s’il n’est pas libre demain, son compagnon avisera le roi… C’en est fait de nous.
– Il sera libre demain, dit paisiblement Léonora, et par conséquent son compagnon n’avisera pas le roi.
Concini allait et venait, impatient et nerveux, comme un fauve en cage. Il s’arrêta brusquement devant elle, leva les bras et les laissa retomber d’un air dépité en disant :
– Je ne comprends plus ! Léonora eut un sourire aigu.
– Concino, dit-elle, combien de temps le narcotique produira-t-il son effet ?
– Une heure environ.
– Nous avons le temps. Tu vas envoyer dans son cachot faire désarmer Jehan. Il faut, tu m’entends, il faut que lorsqu’il sortira d’ici, il soit bien persuadé que tu as voulu réaliser toutes les menaces que tu lui as faites. Il faut, quand on le délivrera ce soir, qu’il soit bien convaincu que tu n’es pour rien dans sa délivrance et que s’il n’avait tenu qu’à toi, il serait mort. Comprends-tu ?
– Non ! fit rudement Concini.
– C’est cependant bien simple, expliqua Léonora. Que faut-il pour arrêter les divulgations du compagnon de Jehan ? Que celui-ci soit libre demain et qu’il puisse se rendre à son audience, si tant est que cette audience existe, ce dont je doute. Donc, ce soir, un ami de Jehan se chargera de le délivrer. A ce sujet, tu me donneras les indications nécessaires pour arriver jusqu’à son cachot.
– Tout cela me paraît bien compliqué. Il était si simple de lui ouvrir la porte tout de suite.
– Oui, mais l’essentiel pour nous est que Jehan se rende bien compte que ses menaces n’ont fait aucun effet sur
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