Le Fils de Pardaillan
jeune homme… Je l’avais, ma foi, oublié, mais il paraît qu’il tient à ce que je m’occupe de lui… Gardez-le moi donc… précieusement.
En entendant cet ordre, Jehan se redressa et fixa un œil étincelant sur l’homme que le roi paraissait honorer d’une estime particulière. Bertille, au contraire, lui jeta un regard implorant.
Sans paraître rien remarquer, le chevalier de Pardaillan répondit avec un flegme admirable :
– Vous le garder, sire ! C’est facile… Jehan eut un sourire de dédain.
Bertille crispa ses mains diaphanes avec une expression de désespoir qui eût touché tout autre qu’un amoureux jaloux.
– Mais, continua imperturbablement Pardaillan, je ne puis pourtant pas vous le garder jusqu’à l’heure du jugement dernier. Le roi me permettra-t-il de lui demander ce qu’il faudra en faire ?
– Tout simplement le conduire jusqu’au Louvre et le remettre aux mains de mon capitaine des gardes…
– Très simple, en effet… Et alors, qu’adviendra-t-il ?
– Ne vous occupez pas du reste, fit Henri avec autorité. C’est l’affaire du bourreau.
Jehan se raidit dans une attitude de défi. Bertille chancela et dut s’appuyer à un des piliers.
– Le bourreau ! peste ! oh diable ! reprit Pardaillan avec un air parfaitement indifférent. Pauvre jeune homme !
Henri IV connaissait sans doute de longue date ce singulier personnage, qui lui parlait avec une sorte de respect narquois, qui avait des allures désinvoltes, des attitudes telles qu’on pouvait se demander si ce n’était pas plutôt lui qui était le roi. Il connaissait sans doute ses manières, il avait appris sans doute à lire sur cette physionomie indéchiffrable, car il s’écria, avec plus d’inquiétude que de colère :
– Enfin, Pardaillan, obéissez-vous ?…
– J’obéis, Sire, j’obéis ! Diantre ! résister aux ordres du roi ! Je saisis ce jeune homme, je le traîne au Louvre, au Châtelet, à la potence, à la rue, je l’écartèle moi-même.
Et tout à coup se frappant le front, comme quelqu’un qui se souvient brusquement :
– Jour de Dieu ! et moi qui oubliais !… Ah ! cuistre, bélître, faquin ! Je vieillis, Sire, voilà-t-il pas que je perds la mémoire ! Sire, vous me voyez affligé, désolé, navré, désespéré. Je ne puis faire ce que Votre Majesté me demande.
Bertille se sentit renaître, le rose reparut sur le lis de ses joues, ses doux yeux bleus se posèrent sur cet inconnu et se levèrent ensuite au ciel en une muette action de grâces.
Jehan, qui n’avait pas bronché, le considéra avec un étonnement manifeste.
– Pourquoi ? demanda sèchement le roi.
– Eh ! Sire, je viens de me souvenir, à l’instant, que monsieur m’a – précisément donné, pour demain matin, certain rendez-vous auquel un gentilhomme ne saurait se dérober à peine de se déshonorer.
– Eh bien ?…
– Comment, Sire, ne comprenez-vous pas que, devant me battre demain matin avec un monsieur, je ne puis l’arrêter ce soir ?… Voyons, Sire, ce jeune homme aurait le droit de croire que j’ai eu peur.
Et en disant ces mots avec un air de naïveté ingénue, ses yeux pétillants de malice se posaient tour à tour sur Jehan, chez qui l’étonnement commençait à faire place à de l’admiration, et sur Bertille qui, après avoir respiré un moment, retombait dans les transes.
– Monsieur de Pardaillan, fit le roi d’un air sévère, ne savez-vous pas que nous avons édicté des lois [3] très rigoureuses à seule fin de réprimer cette criminelle fureur de duels qui décime la fleur de notre gentilhommerie ?
De cet air figue et raisin qui paraissait inquiéter Henri, Pardaillan s’écria :
– Corbleu ! C’est vrai !… J’oubliais les édits contre le duel… Ah ! décidément la mémoire s’en va chez moi !… Les édits !… Peste ! je n’aurai garde de les oublier maintenant !
– Monsieur, fit Henri que la colère commençait à gagner, le souvenir des services que vous m’avez rendus vous couvre encore… Mais croyez-moi, n’abusez pas de ma patience !… Oui ou non, obéissez-vous ?
Pardaillan se redressa de toute sa hauteur. Sa physionomie se fit de glace et sèchement il laissa tomber :
– Non !
– Pour quelle raison ?… Peut-on le savoir ? dit le roi avec une ironie menaçante.
Toujours glacial, Pardaillan soutint avec une paisible assurance le regard foudroyant du roi et de sa même voix
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