Le Fils de Pardaillan
Oui, tudiable ! autant et plus que pas un… Je m’y connais un peu, je pense !… Fort ?… Plus que moi, et ce n’est pas peu dire… Et pourtant il doit être d’un âge où les forces commencent à s’affaiblir… Quel âge, au juste ?… Peut-être n’a-t-il pas encore cinquante ans, peut-être a-t-il passé la soixantaine. N’étaient ces cheveux et cette moustache grisonnants, par la sveltesse de la taille et le dégagé des allures, on ne lui donnerait pas quarante ans… qui est-ce au juste ?… Un prince, pour le moins, si j’en juge par cette haute mine et par le ton sur lequel il parlait au roi… Si je m’en rapporte à ce costume si simple, quelque peu fatigué même, le prince disparaît… à moins que ce ne soit un déguisement, car si le costume est modeste, celui qui le porte a si grand air que je ne sais plus… Ventre-veau ! que ne donnerais-je pour avoir ce laisser-aller impertinent, ce calme extravagant !… Mais voilà, moi, je suis un furieux… Au moindre mot, la colère m’étrangle… et alors je passe la parole à la dague ou à la rapière. »
Pendant que le jeune homme faisait ces réflexions, Pardaillan, sans s’occuper de lui, furetait partout comme s’il avait perdu quelque objet précieux.
– Que cherchez-vous ainsi ? demanda Jehan.
– Le roi n’avait-il pas un compagnon ? fit Pardaillan.
– La Varenne ?
– Ah ! c’était La Varenne !… Eh bien ! c’est lui que je cherche…
– Au fait, dit Jehan, il devrait être là, dans le ruisseau où il est allé rouler.
D’un geste, Pardaillan désigna la chaussée tout autour du perron. La Varenne avait disparu. C’est ce que Jehan le Brave dut reconnaître après avoir vainement exploré tous les coins d’ombre.
– Le drôle a pris la fuite, dit-il avec insouciance. Qu’il aille au diable !
– M’est avis, fit paisiblement Pardaillan, qu’il n’est pas allé bien loin. Le drôle, comme vous dites, a dû s’arrêter près d’ici, au Louvre… Vous allez le voir revenir à la tête d’une troupe chargée de vous arrêter, ou je me trompe fort.
– Vous croyez ?
– J’en suis sûr… Voyez plutôt !
Et en disant ces mots, Pardaillan montrait une troupe qui débouchait dans le bas de la rue, c’est-à-dire du côté où était situé le Louvre, et se dirigeait en courant droit à eux.
La Varenne, en effet, était revenu à lui au moment où Henri IV venait d’entrer chez Bertille de Saugis. Du premier coup d’œil, il reconnut la silhouette de l’homme qui l’avait si rudement frappé. Quant à Pardaillan, qu’il n’avait pas remarqué au moment de son algarade, il le prit pour un compagnon de celui qu’il qualifiait intérieurement de truand, de ribaud, de mauvais garçon et autres épithètes aussi flatteuses.
Il y avait du sbire et de l’espion chez cet honnête entremetteur. Il ne pouvait en être autrement, d’ailleurs. La Varenne se garda bien de bouger et se mit à écouter de toutes ses oreilles. Il étouffa un rugissement de joie lorsqu’il comprit que celui qu’il haïssait déjà outrageusement avait résolu d’attendre le roi, là, à cette porte. Pourquoi ? Pour le meurtrir évidemment, s’affirma-t-il.
Dès lors, sa résolution fut prise. S’échapper à la douce, courir au Louvre, heureusement très proche, et faire d’une pierre deux coups : se venger du misérable qui l’avait injurié et frappé et en même temps rendre un signalé service au roi. Ce qui n’était pas à dédaigner, si bien assise que fût sa faveur.
Mettant à profit l’obscurité et l’inattention des deux nocturnes causeurs, La Varenne parvint à s’éloigner en rampant sans avoir été remarqué. Lorsqu’il jugea qu’il se trouvait hors de vue, il se redressa d’un bond et courut d’une traite jusqu’au Louvre.
Le capitaine de service auquel il s’adressa était M. de Praslin. Dès les premiers mots du confident du roi, M. de Praslin comprit que le hasard lui fournissait peut-être l’occasion de rendre au souverain un de ces services qui assurent la fortune d’un courtisan. Il réunit à l’instant une douzaine de ses hommes, et guidé par La Varenne, il partit au pas de course. C’était sa troupe que Pardaillan venait de montrer à Jehan le Brave au moment où elle débouchait dans la rue de l’Arbre-Sec. Et il ajouta en l’observant du coin de l’œil :
– Voilà qui, je crois, va vous faire manquer à la parole que vous avez donnée
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