Le Fils de Pardaillan
laquais ; carrosses, litières, chevaux : les uns tenus en main, les autres la bride passée dans des anneaux scellés aux murs.
Tout cela dépassait, de très loin, le train, encore modeste, de la maison de Concini. Le fils de Pardaillan, raide et impassible en apparence, était, au fond, quelque peu effaré. Aussi fut-il très sensible à la délicatesse du comte de Candale qui le conduisit dans ses appartements particuliers. Là, du moins, c’était le calme et la solitude.
Candale fit servir une bouteille de vin généreux et des gâteaux secs, et après avoir choqué son verre contre celui qu’il considérait, suivant ses propres expressions, comme une « recrue de valeur », il le laissa pour aller aviser son père. Moins de cinq minutes après, il était de retour et, d’un air contrarié :
– Monsieur le duc, dit-il, est en ce moment en conférence avec des visiteurs. Il vous recevra aussitôt après et vous prie de vouloir bien patienter un instant.
Jehan comprit fort bien qu’on lui accordait une faveur marquée. A en juger par l’encombrement de la cour, il se doutait de ce que devaient être les antichambres. Il dit donc avec enjouement :
– Qu’à cela ne tienne, monsieur. J’attendrai.
– Ce n’est pas tout… Je suis obligé de vous laisser… un ordre à exécuter. Mon absence sera de courte durée, d’ailleurs… A moins que vous ne préfériez que je vous fasse conduire dans une antichambre ?
– Non pas ! dit vivement Jehan, j’aime la solitude… J’attendrai donc votre retour ici même… Si toutefois vous n’y voyez pas d’inconvénient.
– Aucun, morbleu !… Je vous laisse ! Videz la bouteille en m’attendant. Et n’oubliez pas que vous êtes chez vous ici. Si vous avez besoin de quelque chose, vous n’avez qu’à frapper sur ce timbre.
Ceci était dit avec une bonne grâce parfaite. Jehan s’inclina et remercia.
Candale parti, il se mit à arpenter la pièce dans laquelle il se trouvait. Comme il passait devant une lourde portière qui masquait une porte, il entendit comme un bruit de sièges déplacés. Il s’arrêta machinalement et il entendit distinctement une voix qui disait :
– Ici, madame, nous pourrons discuter à notre aise, sans crainte d’être entendus. C’est l’appartement de mon fils Candale, et j’ai eu soin de l’éloigner.
– Diable ! murmura Jehan, très gêné.
Il allait tousser, faire du bruit, pour attirer l’attention de ceux qui se croyaient à l’abri d’une indiscrétion. Au même instant, une voix de femme répondait :
– Duc, je sais que vous n’aimez pas les moines. Cependant, j’ai pris la liberté de vous en amener un.
– M me Concini ! songea le fils de Pardaillan. Oh ! ceci change les choses !… Les Concini me veulent la malemort… J’ai intérêt à savoir ce qu’ils trament dans l’ombre. Ceci est de bonne guerre, ventre-veau !… Ecoutons et regardons… si c’est possible.
Et Jehan, au lieu de faire du bruit comme il en avait eu l’intention,’s’immobilisa, retint son souffle, écarta doucement la portière et, par la porte entrebâillée, coula un regard indiscret.
Il vit le duc d’Epernon, qu’il connaissait de vue, Léonora Galigaï et un moine, grand vieillard à la physionomie douce, aux attitudes empreintes d’une souveraine majesté. Tous trois étaient assis.
– Madame, répondit d’Epernon avec une froideur visible, amené par vous, le Révérend Père est le bienvenu.
Léonora eut un mince sourire et jeta, à la dérobée, un coup d’œil sur le moine impassible.
– C’est que, reprit-elle avec une pointe d’ironie, malgré les apparences, ce religieux n’est pas le premier venu.
Et avec une sorte de solennité, elle ajouta :
– C’est l’homme qui possède toute la confiance de la reine. C’est celui qui, dans l’ombre où il lui a plu de demeurer, nous a guidés tous jusqu’à ce jour. Le moment lui paraît venu de sortir de cette ombre où il se tenait. C’est pourquoi je vous dis simplement ceci qui vous suffira : « Ce moine s’appelle Claude Acquaviva… C’est avec lui, désormais, qu’il vous faut traiter. »
L’air de morgue insolente que l’ancien mignon affectait vis-à-vis de tous ceux qui lui semblaient au-dessous de lui disparut comme par enchantement. Tout grand seigneur qu’il fût, Jehan, stupéfait, le vit se lever précipitamment, s’incliner profondément, et il l’entendit
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