Le Fils de Pardaillan
parce qu’il avait titre de roi et parce qu’il avait sans doute trop bien dîné, par un soir de printemps, semblable à celui-ci, s’introduisait subrepticement chez une jeune fille innocente et pure. L’homme, vous le connaissez : c’est vous, Sire. La jeune fille, c’était ma mère… Remarquez que je raconte simplement les faits sans les commenter. A vous qui ne voulez pas faire grâce à un homme coupable d’avoir croisé sa rapière contre votre épée – comme si la rapière d’un loyal gentilhomme ne valait pas l’épée d’un roi, qui a fait ce que vous avez fait – à vous, dis-je, moi, la fille de la victime, victime moi-même, je fais grâce des commentaires et des qualificatifs que méritent l’homme et sa conduite.
– Grand merci, ma belle enfant. Continuez, vous m’intéressez. Toujours froide, Bertille reprit :
– L’homme abusa de sa force pour violenter la jeune fille. Ceci, je pense, est un crime autrement impardonnable que celui que vous ne voulez pas pardonner, monsieur.
A ce mot : monsieur, le roi eut un mouvement de révolte. Mais il se maîtrisa et se contenta de sourire dédaigneusement.
– Or, voici ce que vous ne saviez pas sans doute… ce qui ne vous eût d’ailleurs pas arrêté : Blanche de Saugis avait un fiancé qu’elle adorait.
Henri tressaillit. Jusque-là, il avait écouté d’un air qui s’efforçait de paraître détaché. Mais sans doute, comme elle venait de le faire remarquer, les détails que la jeune fille allait donner étaient inconnus de lui, car il commença de prêter une oreille attentive.
– Déshonorée, continua Bertille, ma mère n’osa pas révéler sa honte à celui qu’elle aimait : mais ne se jugeant plus digne de lui, elle reprit sa parole et congédia son fiancé sous un prétexte quelconque. Ce brave gentilhomme adorait ma mère. Il pressentit quelque fatal secret et fit tant et si bien qu’il arracha la vérité à celle qu’il n’avait pas cessé d’aimer. C’était un loyal et digne gentilhomme. Il offrit à ma mère de passer outre et de la prendre quand même pour épouse. L’offre honorait celui qui la faisait et celle à qui elle s’adressait. Malheureusement ma mère avait trop de fierté pour l’accepter. Alors ils résolurent de s’unir dans la mort. Tout était prêt pour le double suicide, lorsque Blanche de Saugis s’aperçut qu’elle allait être mère. Or, savez-vous ce qu’ils firent, monsieur ? Ils décidèrent d’attendre que l’enfant fût né pour mettre leur projet à exécution. Et ils firent comme ils avaient décidé. Le lendemain de ma naissance, ma mère et son fiancé burent la mort dans la même coupe… Si vous allez à Saugis, monsieur, vous verrez sur une même tombe une double croix. C’est là que reposent, unis dans la mort, ceux que le caprice d’un homme, parce qu’il était roi, parce qu’il était ivre, parce qu’il voulait se distraire et s’amuser, avait séparés dans la vie. Ceci, monsieur, n’est-ce pas un double assassinat ?
Le roi n’avait plus envie de railler. Un peu pâle, tête baissée, il avait écouté la révélation de ces détails qu’il ignorait avec le regret très vif de l’avoir provoquée.
Voyant qu’il se taisait, sa fille reprit sur un ton poignant :
– Dès le lendemain de ma naissance, je me trouvai donc sans père, ni mère. Et pourtant, dès que je fus en âge de comprendre, je sus que, moi aussi, j’avais un père. Seulement voilà, où était ce père ? Que faisait-il ? Comment s’appelait-il ? Je ne savais pas. La vieille servante qui remplaça ma mère dès que je sus balbutier m’apprit à prier pour ma mère qui était au ciel, d’abord, et ensuite pour que mon père se souvînt qu’il avait une fille et revint à elle. C’est par cette prière répétée chaque jour que je sus que j’avais un père. Je n’ai pas besoin de vous dire la multitude de questions que cette prière me fit poser à ma mère-nourrice. Mais, comme je ne recevais jamais de réponse satisfaisante, si ce n’est que, si mon père revenait à moi, je devrais lui pardonner, je finis par ne plus rien demander.
Bertille se tut un moment.
– A quoi bon évoquer ces choses douloureuses pour vous et pour moi ? fit doucement Henri.
– Il faut que vous sachiez !… C’est vous qui l’avez voulu. Il y a environ deux ans, ma nourrice me fit quitter Saugis et m’amena à Paris. A mes questions, elle répondit que mon père
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