Le Fils de Pardaillan
habitait cette grande ville, qu’ainsi je serais près de lui et que peut-être aurais-je l’occasion de le rencontrer, de me faire reconnaître, de l’apitoyer. Mais mon père ne se présenta jamais. Ma nourrice m’assurait cependant qu’elle l’avait avisé de ma présence près de lui.
– Je vous jure que je n’en ai jamais rien su, dit vivement le roi. La jeune fille le fouilla un instant du regard, comme si elle eût voulu pénétrer au plus profond de sa conscience.
– C’est possible, dit-elle froidement. Dans ce temps, ma bonne vieille nourrice, déjà bien vieille et bien cassée, mourut en me recommandant de prendre connaissance de parchemins renfermés dans un coffret qu’elle me remit. C’est dans ces papiers que j’appris toute l’histoire de ma naissance et de la mort de ma mère. Pour une jeune fille de quinze ans, ignorant tout de la vie, ce fut plutôt dur. Cependant, ma nourrice m’avait si bien mis dans l’esprit cette pensée de pardon, que je ne songeais pas à maudire celui qui était mon père. Je voulus connaître ce royal père. J’y réussis assez facilement. J’aurais pu, j’aurais peut-être dû retourner à Saugis, Je ne sais quel secret espoir m’incita à rester encore. Que mon père fût le roi, je vous assure que je n’en éprouvais nul orgueil, nulle joie. Simplement, je me disais qu’un roi ne pouvait avoir à se reprocher une aussi abominable action. Je ne doutais certes pas du récit de ma mère, mais je croyais, je voulais croire que mon père n’était pas aussi coupable qu’elle le pensait, qu’il y avait au fond de cette terrible aventure quelque effroyable méprise. Et je me disais que si mon père consentait à me donner une marque d’affection, si tardive et si minime qu’elle fût, je lui pardonnerais de grand cœur en mon nom et en celui de ma mère. Je ne demandais pas autre chose. L’idée ne me venait même pas que le roi pût me reconnaître pour sa fille. Je ne faisais nul rêve ambitieux. Embrasser mon père et disparaître, me faire oublier, retourner dans mes chers bois de Saugis, tel était le rêve que je faisais. Pas d’autre, je vous le jure.
– Eh ! jarnidieu, je vous crois sans peine !
– Mon père ne vint pas… il ne vint jamais. Je commençais à ne plus y penser.
– Pourtant, vous voyez que je suis venu quand même. Un peu tard, j’en conviens, mais enfin, ne dit-on pas qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ?
– Mieux eût valu que vous ne fussiez jamais venu ! s’écria la jeune fille d’une voix sourde.
– Que dites-vous donc là ?
– Je dis, éclata Bertille sur un ton de foudroyant mépris, je dis que vous avez essayé de vous introduire chez moi comme il y a seize ans, vous vous êtes introduit chez ma mère. Je dis que si je ne vous avais révélé mon nom, vous essayiez de renouveler sur la fille, votre fille, le lâche attentat que vous avez commis naguère sur la mère !
– Vous perdez l’esprit, je crois ! balbutia Henri.
Bertille s’approcha de lui jusqu’à le toucher et, en le regardant bien en face :
– Voulez-vous me dire ce que signifiait ce signal, ces deux coups frappés dans les mains que j’ai entendus de ma fenêtre, où je prenais le frais, invisible dans l’ombre ? Pourquoi la porte que dame Colline Colle, si peureuse, verrouille et cadenasse elle-même avec tant de soin chaque soir, pourquoi cette porte était-elle ouverte ?… Combien vous en a-t-il coûté pour obtenir de cette misérable qu’elle vous ouvre ainsi le logis ?…
Effaré, le roi dut reculer devant l’insoutenable éclat du regard de sa fille.
– Oui, je le vois, vous vous demandez comment une jeune fille de mon âge peut avoir deviné de telles infamies. Vous oubliez que le douloureux récit de ma mère m’a révélé bien des choses qu’une enfant de mon âge devrait ignorer. Et c’est là un crime de plus à votre actif. Vous voyez, monsieur, que j’avais le droit d’exiger beaucoup de vous. J’ai imploré cependant. Quoi ? Peu de chose, en vérité : l’oubli d’une parole, d’un geste. Et vous avez refusé. Eh bien, soit, achevez l’œuvre commencée, mon père, après la mère, assassinez la fille ! Le prétexte est tout trouvé, Sire. Comme lui, j’ai insulté à la majesté royale. Ensemble, envoyez-nous au supplice. Je suis prête. Ainsi, grâce à vous, la mère et la fille n’auront pu s’unir que dans la mort à l’homme de leur choix !
Elle
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