Le Fils de Pardaillan
se redressait fièrement, une flamme aux yeux. Et le roi, qui se remettait, songeait, en l’admirant :
– Voilà donc où elle voulait en venir : mourir avec l’homme de son choix, comme elle dit. Un amour pareil, et pour un homme dont elle ne savait pas le nom voici une heure à peine. C’est incroyable. Et pourtant cela est. Après tout, de quoi vais-je me mêler ? Pourquoi ne pas la laisser arranger sa vie à sa guise ? Qui sait si au fond il ne vaut pas mieux qu’il en soit ainsi ? N’allais-je pas me créer bénévolement une foule d’ennuis en la présentant à la cour ?… Tout compte fait, cette enfant a raison et il vaut mieux, puisque aussi bien c’est ce qu’elle désire, la laisser dans l’ombre… Mais quelle vivacité, ventre-saint-gris !… et quels coups de boutoir !… je reconnais bien mon sang !
Il allait répondre enfin, rassurer la jeune fille, lorsqu’il lui sembla entendre comme un bruit lointain de lutte. Il prêta l’oreille.
Bertille avait entendu elle aussi. Sans se soucier du roi, elle s’élança, courut au balcon, entrebâilla le volet et jeta un coup d’œil dans la rue.
Pâle comme la mort, mais droite et ferme, elle se dirigea vers la porte d’un pas assuré.
– Où allez-vous ? cria le roi, qui l’avait suivie.
– Mourir avec lui, puisque vos gens le veulent tuer !
– Eh jarnidieu ! Je ne veux pas sa mort !… Ne l’avez-vous donc pas compris ?
Et sur un ton de souveraine autorité :
– Ne bougez pas, madame ! Il ne me convient pas d’oublier plus longtemps que moi seul ai le droit de commander partout !
A son tour, il alla voir ce qui se passait dans la rue et jugea la situation d’un coup d’œil prompt et sûr.
– Bon ! murmura-t-il en rabattant le volet, ils tiendront bien deux ou trois minutes. J’arriverai à temps.
Et se tournant vers Bertille, qui attendait avec une angoisse visible :
– Mon enfant, dit-il avec douceur, je vous pardonne ce que vous m’avez dit et d’avoir cherché à m’insulter, moi, votre père et votre roi. Taisez-vous. Laissez-moi achever. Je n’ai pas l’intention de vous contraindre en quoi que ce soit. Vous déciderez vous-même sur votre sort et je vous laisserai entièrement libre. Dans quelques jours, je reviendrai vous voir. Rassurez-vous, je viendrai cette fois en plein jour et accompagné de telle sorte que ni vous ni personne ne puisse suspecter mes intentions… Maintenant, faites-moi sortir. Il en est temps.
– Venez vite, Sire, venez vite, pour Dieu ! s’écria Bertille en s’élançant.
– Un instant, fit Henri en l’arrêtant. Il ne faut pas que tout ce monde me voie sortir de chez vous à cette heure. Je suis votre père, mais il n’y a que moi qui le sais.
– Ah ! que m’importe ! Ne perdons pas de temps !
– Il m’importe beaucoup, à moi. Faites comme je dis et ne craignez rien… J’arriverai à temps. N’avez-vous pas une sortie sur le derrière de ce logis !
– Par le cul-de-sac Courbâton… Venez, Sire, venez.
Une minute plus tard, le roi, après avoir contourné l’impasse de ce pas allongé qui lui était habituel, était arrivé à temps pour arrêter l’assaut de ses archers, comme on l’a vu.
q
Chapitre 8
L e roi vint se placer au bas du perron, au centre du cercle de lumière formé par les torches des archers roides, comme à la parade, et d’un air mécontent demanda :
– Eh bien, que se passe-t-il donc, Neuvy ?
Le grand prévôt était assez embarrassé. Il commençait à craindre d’avoir fait un pas de clerc. Le roi n’aimait guère qu’on vînt le déranger et l’importuner – même sous prétexte de veiller sur sa personne – lorsqu’il s’en allait en équipée galante. Son air renfrogné ne disait rien de bon au grand prévôt. Heureusement, il se souvint à propos que les rapports de ses subordonnés, notamment du chevalier du guet, lui avaient signalé Jehan le Brave comme un redoutable chef de truands. Il résolut donc de passer momentanément sous silence l’attentat qu’on lui avait dénoncé et de justifier sa présence par une opération de police ordinaire et fortuite. Désignant le jeune homme, il répondit :
– Il se passe, sire, que j’ai voulu arrêter cet homme et qu’il a fait rébellion… Ainsi que Votre Majesté a pu le voir.
Le sourcil froncé, Henri se tourna vers Jehan et gronda :
– Jarnidieu, monsieur, répondez à cela.
Jehan s’avança jusqu’à l’extrême
Weitere Kostenlose Bücher