Le Fils de Pardaillan
bord du perron, s’inclina avec une grâce altière et avec une assurance déconcertante :
– Cet homme ne sait ce qu’il dit. Je prétends que c’est lui qui a fait rébellion aux ordres du roi et non moi.
Le ton de suprême impertinence avec lequel il avait dit : cet homme, le geste dédaigneux avec lequel il le désignait, firent pâlir de fureur le grand prévôt.
Il allait lancer quelque cinglante riposte. Le roi le retint d’un geste et :
– Qu’est-ce à dire ? Expliquez-vous, jeune homme.
– C’est très simple, fit Jehan de sa voix mordante, le roi m’avait donné l’ordre de l’attendre ici, à cette porte, pour de là le reconduire jusqu’au Louvre… ou ailleurs.
– Hum ! murmura le roi entre haut et bas, je crois bien que ce n’est pas moi qui ai donné cet ordre !
Si bas qu’il eût parlé, Jehan, qui avait l’oreille très fine, l’entendit.
– C’est vrai, dit-il. Mais le roi a approuvé, donc c’est comme s’il avait donné l’ordre. Cet homme est arrivé. Sans rime ni raison, de sa propre autorité, il a voulu me faire saisir par ses sbires. Il a voulu m’arracher de ce lieu où j’avais ordre d’attendre le roi. M. de Pardaillan, ici présent, a pris la peine de lui expliquer ce qu’il en était. Il n’a rien voulu entendre. Il s’est obstiné à vouloir m’empêcher d’exécuter l’ordre du roi. Ce faisant, il s’est mis en révolte ouverte contre l’autorité du roi qu’il a le devoir de respecter plus que quiconque et de ce fait il devrait être pendu haut et court.
– Sire ! s’écria de Neuvy, qui étranglait de fureur, permettez-vous…
– Silence, monsieur ! interrompit Henri. Et réprimant un sourire :
– Jarnidieu ! voilà une explication à laquelle j’étais loin de m’attendre.
Et se tournant vers Pardaillan qui attendait d’un air très détaché :
– Et vous, monsieur, reprit-il, aviez-vous aussi l’ordre de m’attendre céans ? Est-ce pour exécuter cet ordre que vous avez tiré l’épée contre les hommes de police ?
– Sans doute, Sire.
– Voici qui est particulier, par exemple !
– Comment ! s’écria Pardaillan d’un air étonné. Votre Majesté n’a cependant pas oublié qu’elle m’a ordonné de garder ce jeune homme. De le garder précieusement, a-t-elle même ajouté.
– Eh bien ?
– Eh bien ! je le gardais, fit Pardaillan avec un flegme admirable. Cette fois, le roi sourit franchement, et se tournant vers le grand prévôt qui écumait, il lui dit gravement :
– Ces deux gentilshommes disent vrai. Ils étaient ici par mon ordre.
– Sire ! balbutia de Neuvy.
– Allez, Neuvy, fit doucement Henri, vous êtes un bon serviteur, je ne l’oublie pas.
Remonté par cette bonne parole, le grand prévôt se hâta de dire :
– J’ai l’honneur de solliciter de Votre Majesté une audience particulière et très urgente.
– Demain, Neuvy, demain. Allez !
– Sire, dit vivement Neuvy en baissant la voix, il s’agit de ce jeune homme… qui n’est pas un gentilhomme comme Votre Majesté lui fait le grand honneur de le dire.
Henri eut une imperceptible hésitation. Instinctivement, son regard alla chercher le volet clos derrière lequel il devinait Bertille aux écoutes et avec un commencement d’impatience, il répéta :
– Demain, vous dis-je. Allez.
Il n’y avait plus qu’à obéir. La rage au cœur, le grand prévôt dut s’incliner. Il rassembla ses hommes et, après avoir jeté un regard chargé de menaces sur Jehan qui souriait dédaigneusement, il s’éloigna lentement, comme à regret.
Henri se tourna alors vers le capitaine de Praslin qui attendait, impassible.
– Comment se fait-il que vous ayez quitté le Louvre, où vous étiez de garde ? fit-il.
– Sire, c’est M. de La Varenne qui est venu me chercher et m’a raconté je ne sais quelle histoire d’attaque nocturne dirigée contre la personne du roi.
Le roi se souvint alors de son confident.
– Au fait, dit-il avec la plus parfaite indifférence, où est-il donc, La Varenne ?
Une voix lamentable gémit à son côté.
– Ici, Sire !
Et Henri, à la lueur blafarde d’une torche laissée par le grand prévôt, put voir l’estafilade sanglante qui barrait la joue de son confident. Henri IV n’aimait guère son confident et ne l’estimait pas du tout. C’était un instrument nécessaire à un tempérament passionné comme le sien. Il s’en servait, sans
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