Le Gerfaut
Son Excellence le Général comte de Rochambeau, chef du corps expéditionnaire adressé aux Insurgents par Sa Très Gracieuse Majesté le roi Louis le Seizième, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre. Et comme nous sommes venus sur cette terre en amis, je pense, monsieur Paulding, que ma meilleure sauvegarde se trouve dans l’hospitalité et la courtoisie d’un véritable gentilhomme américain.
Le « gentilhomme américain » rougit de plaisir et salua avec beaucoup de dignité le jeune homme qui acheva tranquillement :
— … Quant à ces chevaux qui semblent pour vous de vieilles connaissances, je vous confierai en toute simplicité… que nous les avons volés, dans la montagne, chez un certain Jakob van Baren qui les tenait cachés dans une vieille mine de charbon.
Sam Paulding le considéra avec une stupeur sincère.
— Van Baren ? Des chevaux cachés dans sa vieille mine ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Le vieux Jakob a tant travaillé sa terre qu’il est tout courbé et ne serait même pas capable de lever le pied pour atteindre l’étrier. Quant à la mine, voilà beau temps qu’il n’y descend même plus !… Qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse des chevaux, le pauvre !
— Un instant ! coupa Tim. Puis-je vous demander, monsieur Paulding, fit-il en imitant la politesse excessive de son ami, de vouloir bien nous dire s’il y a longtemps que vous n’avez vu Jakob van Baren et à quoi il ressemble ?
— Oh, c’est le plus austère et le plus pieux de tous les Mennonites que je connaisse ! Un petit vieillard tanné comme une vieille pomme avec une barbiche grise taillée au carré et de longs cheveux coupés sur la nuque. Il est grave comme la Bible qu’il cite à tout bout de champ et n’a guère qu’une faiblesse : sa femme Mariekje, une vieille petite Hollandaise ronde et encore fraîche, vive comme une souris et qui est sans doute la meilleure ménagère de tout le comté. Ça doit bien faire six mois que je ne les ai pas vus. Mais, dis donc, ce n’est pas moi qui suis censé répondre à des questions ?…
— Encore une seule ! L’Avenger n’est-il pas un grand homme maigre mais bâti à peu près comme moi, avec des cheveux gris tirant sur le roux et des yeux couleur de granit ?…
— Si tu es l’un de ses hommes, tu dois bien savoir que c’est là son portrait fidèle, ricana Sam Paulding. Mais je ne vois pas…
— Moi, je vois, conclut Tim tranquillement et nous allons maintenant répondre à la question que tu posais tout à l’heure : si tu veux trouver celui que tu cherches, va chez Jakob van Baren et tu y trouveras ton ennemi caché sous son nom et dans sa maison. Quant au vieux couple que tu nous as décrit, cherche-le dans la galerie de mine à main gauche et à une centaine de pieds de l’entrée : c’est là que l’Avenger les a enterrés.
Un silence total accueillit la déclaration de Tim. Sam Paulding était devenu très pâle et, autour de lui, tous les yeux brillaient de fureur contenue. Gilles considéra son ami avec indignation.
— C’est ça que tu as vu dans la mine quand tu as soufflé la lanterne ? Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
— Parce que alors je n’étais pas certain… et parce qu’il nous fallait partir à tout prix.
— Un bandit ? Un assassin ! Et nous lui avons laissé ces deux malheureuses femmes ?
— Nous ne pouvions pas faire autrement.
— Je le sais et je ne te reproche rien. Mais maintenant tu vas rejoindre seul le général Washington.
— Et toi ?
— Moi ?… (Gilles se tourna vers Paulding :) Rends-moi mon cheval, donne-moi des armes et je te fais serment de te ramener la tête de ton ennemi…
— Je saurai bien aller la prendre moi-même, fit l’autre sombrement. C’est une joie que je ne laisserai à personne. Mais je commence à croire à votre histoire. Raconte-moi ce qui s’est passé chez Van Baren et nous verrons.
Gilles fit le récit, aussi clair et concis que possible, des événements qui les avaient amenés, en compagnie de Sitapanoki et de Gunilla, dans la petite ferme du Mennonite. Il dit franchement tout ce qu’ils y avaient vu, ce qui s’y était dit et ce qui s’y était passé. Il dit enfin comment, pour rejoindre Washington menacé d’un grave danger, ils avaient dû abandonner leurs compagnes de voyage. Son instinct le poussait, sans qu’il sût trop pourquoi, à jouer le jeu jusqu’au bout et à faire en quelque
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