Le Gerfaut
je m’en vante ! s’écria l’homme en se tapant sur la poitrine. C’est une vocation de famille. Je me nomme Sam Paulding et jamais un Paulding n’a servi le roi George, du moins volontairement. Nous servons la cause de l’Indépendance… et c’est en son nom que je réclame vos chevaux car nous en manquons regrettablement. Allons, descendez ! Je serais désolé d’être obligé de vous tuer, ajouta-t-il en braquant son fusil sur la poitrine de Tim qui ne s’en émut guère.
— Et nous donc ! soupira-t-il. Mais tu devrais y regarder à deux fois avant de nous tuer, si tu sers la Liberté, ou alors tu devrais renoncer à nos chevaux et nous laisser continuer notre route car nous devons rejoindre, au plus vite, le général Washington qui nous a confié une mission et qui nous attend. S’il nous attend trop longtemps, ce qu’il n’aime pas, et si on lui dit que Sam Paulding nous a retardés en nous volant, je ne crois pas qu’il t’en soit reconnaissant… Et il a la main lourde, notre chef.
L’homme eut un large sourire qui découvrit une double rangée de dents superbes. Sous sa défroque militaire, il était d’une rare saleté mais ni laid ni même vulgaire et ses yeux vifs regardaient droit.
— Ben voyons ! Vous êtes de l’État-Major, ça crève les yeux ! Dans une minute, vous allez me dire que vos bêtes appartiennent à la cavalerie de Virginie ? Seulement… faudrait voir à ne pas me prendre pour un imbécile ! aboya-t-il soudain. Les chevaux, je les connais et ceux-là, je veux bien être pendu s’ils n’appartiennent pas aux Habits Rouges ! et si…
Brusquement, ses yeux se rétrécirent. Jetant son fusil à l’un de ses hommes il se précipita à la tête du cheval de Gilles, l’immobilisa adroitement et se mit à frotter le front de l’animal.
— Eh là, protesta le jeune homme. Qu’est-ce que tu fais ? Vous avez dû prendre pas mal de pluie, dans la montagne. Il est trempé, ce bestiau… et il déteint… fit-il en agitant ses doigts dont l’extrémité était devenue couleur chocolat.
Sans lâcher l’animal, il fouilla dans sa poche, en tira un chiffon sans couleur qui avait peut-être été un mouchoir, cracha dessus et se mit à frotter de plus belle puis recula comme un peintre qui, son œuvre achevée, prend du champ pour juger de l’effet. Sa figure s’illumina.
— Bon sang ! exhala-t-il avec un soupir de bonheur. Que la peste m’étouffe si ce n’est pas là le Winner , le cheval de l’Avenger ! C’est trop beau !… (Puis, se tournant brusquement vers ses hommes :) Holà, vous autres, embarquez-moi ces deux lascars à la langue dorée. Il y a gros à parier qu’ils sont de la bande de ce fils de putain et nous allons avoir à causer.
Malgré leurs protestations, Tim et Gilles, pris sous le nombre, durent mettre pied à terre et suivre la bande dépenaillée qui les entraînait vers la vallée. Bientôt ils atteignirent ce qui devait être le repaire, une masure à moitié écroulée dans la Ten Mile River et qui semblait avoir été jadis un moulin. On les entraîna à l’intérieur, dans l’unique pièce encore debout et où s’entassait tout un peuple d’hommes et de femmes de tout âge et de tout acabit.
Sam Paulding s’installa sur un tonneau et se disposa à tenir une espèce de tribunal car plusieurs de ses hommes se rangèrent derrière lui l’arme au pied.
— Messieurs, déclara-t-il en laissant planer autour de lui un regard impérial, nous allons avoir à juger ces deux suspects mais, auparavant, il convient de leur adresser quelques questions auxquelles nous leur conseillons de répondre bénévolement s’ils veulent s’éviter… et nous éviter à nous-mêmes qui sommes gens civilisés, toute une suite de manœuvres extrêmement déplaisantes. Et la première de ces questions est : Où se trouve l’Avenger ?
L’emphase du ton et de la pose donna une idée à Gilles. Visiblement, le bonhomme se prenait pour une puissance… Redressant sa haute taille, il s’avança vers lui et s’inclina avec toute la courtoisie et le respect d’un ambassadeur présentant ses lettres de créance.
— Je crains, Monsieur, qu’il n’y ait entre nous un malentendu regrettable. Je n’ai véritablement aucune raison de vous refuser un renseignement que je serais le premier à réclamer puisque cet Avenger est un ennemi pour moi comme pour vous. J’ai nom Gilles Goëlo, je suis Français et Secrétaire particulier de
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