Le Gerfaut
rendait glissante. C’était encore plus difficile pour Gilles qui avait refusé de se séparer de sa lanterne malgré les objurgations de Tim. Enfin ils atteignirent la gouttière. Un tuyau de descente qui se déversait dans un tonneau déjà débordant les amena au sol détrempé sur lequel ils reprirent pied avec une joie profonde. Ils se trouvaient dans l’espace ménagé entre la grange et la maison et celle-ci se dressait en face d’eux, absolument noire et silencieuse si peu rassurante que dans le cœur de Gilles quelque chose se serra.
— Tim… souffla-t-il. Il faut essayer de les emmener… Nous ne pouvons pas les abandonner comme ça… ce serait…
Il s’interrompit, à demi étouffé. La grosse patte de Tim s’était abattue sur sa bouche et s’y appliquait aussi solidement qu’une arabède à son rocher tandis qu’à son oreille l’Américain chuchotait d’une voix implacable :
— Plus un mot là-dessus ! Et maintenant, mon fils, écoute bien ce que je vais te dire car je ne me répéterai plus : le sort de la guerre et la liberté de tout un peuple dépendent peut-être de notre survie. Alors, même si je savais que ces deux femmes risquent d’être mises à mort demain matin à l’aube, j’agirais exactement comme nous allons faire. Et, comme elles ne risquent certainement rien de semblable, assez causé et filons !
Avec colère, Gilles repoussa la main de son ami mais ne protesta plus. La logique de Tim ne pouvait être contestée car, en effet, le secret qu’ils avaient surpris leur faisait dépasser les limites des sentiments normaux. Ils ne s’appartenaient plus. Que représentaient deux jeunes femmes en face de l’immense lutte entreprise par les Insurgents ? Et, comme s’il répondait à sa pensée, Tim murmura encore mais cette fois avec une douceur inattendue.
— Si ma mère elle-même était enfermée dans cette maison, je l’y abandonnerais sans hésiter…
— Ça va ! soupira Gilles, maté. Je te suis…
Pour éviter de repasser devant la maison, ils continuèrent le long de la montagne, dépassèrent l’entrée de la mine… et s’arrêtèrent avec ensemble. Quelque part, dans les profondeurs du trou noir, ils avaient entendu un hennissement.
— Tiens tiens ! fit Tim. Je commence à croire que le célèbre entêtement des Bretons pourrait bien avoir du bon. On dirait que ta lanterne va nous servir.
L’un derrière l’autre, à la lumière de la lanterne que Gilles découvrait en partie, juste ce qu’il fallait pour ne pas se rompre le cou, les deux compères pénétrèrent dans la galerie de mine. Passé l’entrée, elle était assez haute et les boiseries qui la soutenaient paraissaient en bon état mais il n’y avait guère de traces d’activité. Si Van Baren extrayait du charbon, cela n’avait pas dû lui arriver depuis un moment…
— Pourtant, fit Gilles, il sortait bien de ce couloir quand nous sommes arrivés…
— Ça ne veut pas dire qu’il venait d’y travailler. Écoute… À nouveau, le hennissement se faisait entendre, plus proche et guida leur marche. Un moment plus tard, ils découvraient ce qu’inconsciemment peut-être ils avaient espéré trouver depuis leur entrée dans la mine : une assez vaste caverne dont l’ouverture sur la galerie se dissimulait à demi derrière un pan de rocher et qui constituait une très convenable écurie car elle devait, dans la journée, recevoir la lumière par deux anfractuosités fourrées de végétation.
— Est-ce que tu vois ce que je vois ? fit Tim, extasié.
Il y avait là deux chevaux, sagement rangés dans des stalles rudimentaires, deux chevaux dont on devait prendre grand soin car leur litière de fougère sèche était propre et leur poil lustré. Leurs selles et leurs harnais accrochés à la muraille la plus proche brillaient, entretenus.
— Si ces canassons sont des bêtes de labour, je veux bien être changé en carton à chapeaux, marmotta Gilles.
— Tu n’as rien à craindre… et moi non plus car je ne vois pas du tout ce que je pourrais bien faire d’un carton à chapeaux. Ce sont des chevaux de l’armée anglaise… et voilà la marque, ajouta Tim en approchant la lanterne de l’un des animaux. C’est pour le moins curieux… et j’en viens à me demander si Van Baren est un coquin ou un bon patriote…
— On se posera des questions plus tard, le Ciel nous envoie des chevaux, sellons-les et filons d’ici.
Ce fut fait en un clin
Weitere Kostenlose Bücher