Le Grand Coeur
étaient à ma recherche.
Ils avaient visité les alentours et s’étaient même arrêtés
au couvent pour demander si quelqu’un m’avait vu. Les
frères qui allaient vendre leur bois et leur bétail sur les
marchés de la vallée me mirent en garde. Tous les points
de passage sur le fleuve étaient surveillés. Des patrouilles
sillonnaient la région et contrôlaient les errants.
Cette nouvelle me fit perdre tout optimisme. Sans
l’aide de Marc, comment allais-je parvenir à franchir cet
ultime obstacle ? Je revoyais la torture et les prisons. Le
froid que je n’avais pas senti en chevauchant me saisit
et je tombai malade. Je restai toute une semaine avec
la fièvre. Les moines me soignèrent, mais je les sentais
impatients de me voir partir. Leur couvent était pauvre,
isolé, ouvert à tous les vents, et si les soldats revenaient,
ils n’hésiteraient pas à passer outre la franchise dont
bénéficiaient les communautés religieuses.
Dès que je fus remis, ils me conseillèrent d’aller
jusqu’à Beaucaire où les puissants cordeliers disposaient
d’un couvent bien clos duquel personne ne s’aviserait
de me tirer par force. Je repartis un soir après les vêpres.
Des moines de retour du marché s’étaient assurés que la
voie était libre jusqu’au fleuve.
J’atteignis la rive avec la nuit. Une lune presque pleineéclairait le chemin. Au lieu de tourner à droite vers
Beaucaire, je décidai de remonter prudemment jusqu’à
un petit port où étaient amarrées des barques de sel. La
plupart, dans cette région, m’appartenaient. Les marins
sont gens fidèles et si je parvenais à me faire reconnaître
de l’un d’eux...
J’approchai doucement d’un groupe d’embarcation.
Les lumières de quelques lanternes sourdes se reflétaient sur l’eau et des éclats de voix traversaient l’air
immobile. Soudain, un cri me parvint sur la gauche. Un
homme m’interpellait d’une voix forte.
— Eh, toi, approche un peu !
Je remarquai alors un campement sous le couvert des
premiers abris d’un bois. Quelques soldats étaient assis
autour d’un feu et le halo de lumière laissait voir non
loin d’eux leurs chevaux entravés.
Aussitôt, je tournai bride et piquai vers le sud. Mon
cheval gris avait repris des forces pendant ma maladie et
ces jours derniers, je l’avais mené doucement. Il libéra
toute sa fougue. La lumière, quoique faible, était suffisante pour aller sans danger au grand galop. Au bout
d’une heure à peu près, j’arrêtai le cheval, lui fis faire
quelques pas sur un chemin de traverse et, tapi dans
l’obscurité, écoutai. Tout était silencieux. J’en conclus
que la patrouille ne m’avait pas poursuivi. Elle devait
être astreinte à garder une certaine portion de la rive et
ne pouvait s’en éloigner. Je repris le chemin à une allure
moins vive. Il restait encore quelques heures de nuit
quand j’arrivai en vue des murailles de Beaucaire. Je
dormis dans une clairière et dès les premières lueurs du
jour, j’avançai vers une des portes. Je saluai l’homme de
guet qui était encore ensommeillé et montai vers le couvent. Le frère tourier m’accueillit et je demandai à voir
l’abbé. Nous nous connaissions, car j’étais souvent passé
dans la ville pendant les foires et j’avais fait de substantielles donations au couvent.
Le père Anselme m’assura de son hospitalité et me fit
installer dans une cellule. Plus tard dans la journée,
nous eûmes une longue discussion. Son ordre était riche
et mon séjour pouvait se prolonger sans préjudice. Mais
il m’avertit que je risquais de ne plus pouvoir ressortir.
La ville était infestée de soldats qui contrôlaient les passages. L’incident le long de la berge avait dû maintenant
leur être rapporté. Ils allaient logiquement en conclure
que j’étais arrivé là. Si on le lui demandait, l’abbé, tout
en se portant garant de ma protection, ne pouvait pas
leur cacher que j’étais dans le couvent.
Le lendemain, en effet, des gens d’armes vinrent s’enquérir de ma présence. J’étais sauf mais de nouveau
reclus. De la fenêtre de ma cellule, je voyais le fleuve et,
toute proche, la rive provençale où j’aurais pu vivre en
liberté. Qui savait si je pourrais l’atteindre un jour ? Le
roi, dans sa vengeance immobile, venait d’inventer pour
moi un nouveau supplice.
*
L’ambiance ne tarda pas à devenir étrange, dans le
couvent des cordeliers de Beaucaire. Maintenant que
mes poursuivants
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