Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
Vom Netzwerk:
laisser corrompre, mais à
la condition expresse que leur trahison ne serait pas
découverte. Pour cela, il fallait qu’un autre personnage,
situé au-dessus d’eux, acheté lui aussi, ne dît rien. Plutôt
que d’élaborer un plan fondé sur le sacrifice improbable
d’un ou deux gardes, Marc sut me convaincre qu’il valait
mieux acheter tout le monde, de sorte qu’après ma disparition, l’enquête n’incrimine personne et conclue à
un mystère. Ne m’avait-on pas soupçonné d’être alchimiste et un peu sorcier ? Marc se chargeait de préparerles esprits, en confiant à certains que j’étais capable... de
m’évaporer.
    Quand nous eûmes calculé la somme nécessaire pour
s’assurer de toutes les complicités, j’envoyai Marc à
Bourges voir mon fils Jean à l’archevêché. Dauvet, dans
sa grande bonté, m’avait autorisé à recevoir sa visite
quelques mois plus tôt. Notre conversation se déroulait
en présence d’un garde et je n’avais pas pu donner trop
de détails. J’avais seulement recommandé à Jean de faire
confiance à Marc, s’il lui rendait un jour visite. Jean parvint sans difficulté à réunir la somme demandée et Marc
la rapporta à Poitiers.
    Les fonds dûment répartis entre les bénéficiaires,
le moment vint de passer à l’exécution de notre plan.
L’automne était arrivé et il ne fallait pas attendre les
grands froids. Marc était pourtant hésitant. Des changements récents avaient amené dans la garnison du château quelques gardes qu’il ne connaissait pas encore et
dont il ne pouvait s’assurer le concours, faute de déceler
leurs faiblesses. Je le pressai, car s’il m’avait fallu du temps
pour accepter l’idée de la fuite, elle m’avait entièrement gagné. Je ne dormais plus et il me tardait d’agir.
Combien je me repens aujourd’hui de cette précipitation ! Marc, comme toujours, avait l’intuition de ce qui
allait advenir et j’aurais dû m’y fier. Finalement, pour
me contenter, il prit un parti risqué. S’étant fait communiquer la liste des tours de garde, il choisit un jour où
aucun nouveau venu ne serait en faction et me proposa
cette date pour notre opération. J’acceptai avec enthousiasme.
    C’était un dimanche matin. La messe à la chapelle du
château rassemblait tous les hommes présents à l’exception des gardes qui surveillaient ma porte. Encore
étaient-ils en nombre plus réduit. Tout se passa comme
prévu. À l’heure dite, je vis Marc entrer et me faire signe
de le suivre. Il remit en passant une bourse à chacun
des gardes : le complément promis de ce qu’il leur avait
déjà versé. Nous descendîmes le grand escalier sans rencontrer personne. Toute la hiérarchie des geôliers avait
eu la patte graissée, en sorte qu’au moment de rendre
compte de ma fuite, chacun se porterait garant de ceux
qu’il commandait. Personne n’aurait rien vu. Il faudrait
convoquer le surnaturel pour expliquer ma disparition.
    Nous traversâmes la cour déserte. Je frissonnais dans
l’air humide du petit matin. Les gardes en faction à la
grande porte du château ne se montrèrent pas et nous
nous retrouvâmes dehors. Il restait à franchir l’espace
dégagé autour des douves, pour rejoindre le dédale des
ruelles de la ville.
    Nous étions en train de nous élancer quand un cri
nous arrêta. Deux gardes qui effectuaient leur ronde
avaient tourné l’angle de la tour la plus proche et nous
avaient vus. L’un d’eux semblait embarrassé et ne bougeait pas : sans doute un des clients de Marc, dûment
rétribué pour ne rien voir. Mais son compère, dont je
sus par la suite qu’il avait remplacé au dernier moment
un autre soldat malade, faisait partie de ces nouveaux
éléments qui n’étaient pas dans la confidence. Il sortit
son épée et avança vers nous.
    Je tirai Marc par la manche et me mis à courir. Nous
aurions pu nous échapper facilement. Mais le plan
comportait une condition essentielle : que l’alarme ne
fût pas donnée trop tôt. C’était pour cela que nous
avions choisi d’opérer le matin, afin de disposer d’unepleine journée pour fuir le plus loin possible. Si ce garde
n’était pas neutralisé, il allait ameuter le château et, tout
acquises à notre cause que fussent les personnes que
nous avions stipendiées, elles seraient obligées de
donner l’alerte, si l’évidence de notre fuite leur était
rapportée.
    Marc avait compris tout cela. Il fit volte-face et avança
vers le

Weitere Kostenlose Bücher