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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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pour les arts. Il suffisait de rechercher les
jeunes pousses et de les placer en condition de croître et
de faire éclore leur création.
    *
    L’occasion m’était donnée d’y contribuer moi-même,
en construisant le palais que j’avais promis à Macé.
Avant Florence, je ne concevais cet édifice que conforme
à ce qui était alors pour moi le luxe suprême : le château
de Mehun-sur-Yèvre. Construit jadis par le duc Jean, il
servait au roi quand il était dans la région. C’était une
bâtisse forte ceinte de tours rondes. La seule nouveauté,
bien timide mais qui en faisait tout l’attrait, était les
hautes fenêtres percées dans les murs, qui laissaient
admirer la campagne.
    Le terrain que j’avais acquis, avec son soubassement
romain, devait servir de socle à une construction toute
semblable à Mehun, c’est du moins ce que j’avais décidé
avec Macé. Dans ce dessein, nous avions décidé de flanquer la grosse tour romaine d’une jumelle, qui donnerait au bâtiment des allures de château fort. Mais en rentrant de Florence, je trouvai cette idée ridicule. J’avais
vu fleurir là-bas des palais qui ne conservaient aucune
trace de la guerre et pour cause. C’étaient des maisons
claires, hautes, où les seules tours étaient celles qui abritaient les escaliers à vis desservant les étages. Les architectes rivalisaient d’idées pour offrir à ces demeures une
élégance, une légèreté qui renvoyaient nos places fortes
à leur barbarie. Les fresques aux murs faisaient éclater
les couleurs, les vitraux peints apportaient une lumière
vivante.
    Je décidai de suivre ces exemples et de revoir entièrement le projet. Hélas, à mon arrivée dans notre ville, je
constatai que Macé, en mon absence, avait déjà fait bien
avancer les travaux. La muraille romaine avait été renforcée et reprise, en sorte que, du côté le plus bas du
terrain, on voyait déjà s’élever les deux tours qui reproduisaient en plus petit les proportions de Mehun. Macé
me fit visiter le chantier, tout heureuse de me montrer
qu’elle avait fait diligence en mon absence. J’étais désespéré. Je n’osai pas lui montrer les plans qu’un architecte
de Florence avait ébauchés à ma demande.
    J’avais un court déplacement à effectuer vers le Puy
avant de revenir dans notre ville. Pendant tout le trajet, je n’eus en tête que le palais. Devant Macé et son
enthousiasme, j’avais fait bonne figure et pris l’air satisfait. Sitôt seul, je sentis un véritable désespoir s’abattre
sur moi. Pour quelle obscure raison ? J’avais d’autres
propriétés et les moyens d’en faire bâtir ailleurs, plus
conformes à mes goûts italiens. Je venais de faire l’acquisition d’un terrain à Montpellier pour y édifier une
demeure. Ni Macé ni personne ne me dirait ce qu’il fallait que j’y construise. Pourtant ces idées ne me consolaient pas. Ce palais de Bourges, auquel j’avais jusque-là
prêté peu d’attention et dont j’avais décidé la création
pour faire plaisir à Macé, avait pris en moi une place
inattendue. À vrai dire, depuis Florence, je ne pensais
qu’à lui. Il me semblait nécessaire qu’au cœur de ma vie,dans le lieu qui était à la fois le berceau de ma famille et
le centre de mes affaires, j’élève un palais qui porte
témoignage de l’avenir, qui soit conforme à mes désirs
et réalise mes rêves. Il était ridicule d’y placer, au lieu de
cela, une pâle copie de demeure seigneuriale, le triste
symbole d’une prétention nobiliaire qui ne ferait illusion sur personne. Bref, j’étais en train de donner
de moi l’image d’un parvenu. Pour des années voire des
siècles, ce monument entretiendrait à mon sujet un
grave malentendu. Il ferait de moi un homme assoiffé
de pouvoir et d’argent, désireux de conquérir une place
dans le monde féodal. Au fond peu m’importait ce que
les temps futurs penseraient de moi. Mais le malentendu
commençait dès maintenant, avec ma propre famille.
C’est à Macé, c’est à nos enfants, c’est au roi que j’avais
envie de faire connaître mon vrai visage et mes intentions profondes. L’argent, les titres, rien de tout cela ne
comptait pour moi. Ce qui me faisait agir, c’était le rêve
d’un autre monde, un monde de lumière et de paix,
d’échange et de travail, un monde de plaisir où le meilleur de l’homme trouve à s’exprimer autrement qu’en
inventant de nouveaux moyens de tuer son semblable.
Un monde vers

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