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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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parce que nous avons accès à ce qui n’existe pas.
Cette richesse n’est pas donnée à tous, mais ceux qui cheminent jusqu’à ce continent invisible en reviennent
chargés de trésors qu’ils font partager à tous les autres.
    Je parle des peintres, car j’ai sans doute été particulièrement sensible à leur génie. Je pourrais citer les architectes, les musiciens, les poètes. Ces artistes étaient beaucoup moins nombreux que les simples artisans. Mais
leur activité était comme un moteur qui faisait avancertoute la ville. Il y avait là une grande différence avec
l’Orient. Je comprenais ce que j’avais ressenti à Damas.
Tous les raffinements, toutes les richesses convergeaient
vers cette cité, toutefois ils s’y déposaient de façon
inerte. Rien de nouveau n’apparaissait. La ville avait dû
connaître un âge d’or ; il semblait terminé. Elle vivait sur
les acquis de ces temps révolus. À Florence, au contraire,
la nouveauté était partout. La cité avait été chercher fort
loin des richesses et des techniques, comme la culture
du ver à soie venue de la Chine. Elle ne s’en contentait
pas. Encore lui fallait-il transformer, dépasser, créer ;
c’était une ville d’artistes.
    Je rentrai en France persuadé qu’il nous fallait non
seulement acquérir des richesses, mais que nous ne
deviendrions véritablement à notre tour le centre du
monde que si nous parvenions jusqu’au domaine souverain de l’art et de la création. C’est aujourd’hui une idée
courante. Elle était neuve.
    On a peine à s’imaginer le chemin parcouru ces dix
dernières années. À l’époque de la trêve avec l’Angleterre, nous sortions de près d’un siècle de guerre et de
ruine. Nous ne connaissions que deux états, la misère et
l’abondance. En sortant de l’une, nous n’avions pour
désir que de nous jeter dans l’autre. De là venait cet
extraordinaire appétit pour la quantité : plus de parures,
plus de bijoux, plus de mets, plus de palais, plus de fêtes,
plus de danses et plus d’amour. Le maigre feu de la vie
dans lequel s’étaient consumées les pauvres ressources
du temps de la violence s’était emballé maintenant
qu’on y jetait à brassées les délices innombrables qu’il
était désormais loisible d’acquérir grâce à la paix.
Cependant, nos goûts restaient grossiers.
    J’étais un de ceux qui s’étaient faits les pourvoyeurs
de cette dépense. À Florence, j’avais franchi une étape :
non seulement, comme marchand, je trafiquais des
objets venus d’ailleurs mais, comme membre de la
guilde des soyeux, je participais à leur création. J’étais
devenu un de ceux, encore rares en France, qui songeaient à fabriquer. Je réunis Guillaume et Jean pour
leur exposer mon projet. Ne plus faire venir des armes
mais les produire, ne plus vendre de tissus bruts mais
les fabriquer. Il n’est pas jusqu’à l’argent que je décidai
non seulement d’acquérir par le commerce mais aussi
de produire moi-même. À cette fin, j’acquis des mines
dans les monts du Lyonnais et je fis venir des Allemands
habiles à extraire le métal du sol.
    Cette idée de créer, je lui donnai, sous l’impulsion
des Florentins, une ampleur plus grande. Il ne s’agissait
pas simplement de reproduire ce qui se faisait ailleurs,
mais de s’emparer de la force même qui était au principe de ces découvertes. Mon ambition était de faire
entrer partout les nouveautés. J’aimais cette idée de
donner carrière à toutes les formes de l’imagination
pour en inscrire les effets dans la matière. Au sommet
de cette production de nouveautés, je savais désormais
que se plaçaient les artistes. Il n’y en avait guère encore
chez nous. Les musiciens colportaient des mélodies
venues de la tradition, les peintres recopiaient des sujets
religieux convenus. Nos poètes étaient peut-être les
seuls à se mouvoir dans l’espace originel de leurs pensées et de leurs sentiments. Mais, de tous, c’étaient ceux
qui avaient le moins de prise sur les choses. En rentrant
de Florence, je m’étais fixé pour tâche de réunir tous les
talents que je rencontrerais, de leur donner toute libertépour créer des parures nouvelles, des bâtiments nouveaux, des spectacles inédits. Il n’était pas certain, après
la longue jachère de la guerre, que nous en fussions
capables. Pourtant, la terre qui, cent ans plus tôt, avait
porté les bâtisseurs de cathédrales, n’était certainement
pas aride

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