Le grand voyage
possédant de tels yeux ?
Il faillit prononcer le nom de Noria en faisant le geste de
bercer un bébé, mais un coup d’œil vers Ayla le retint. Il ne lui avait pas
parlé de Noria, ni de la prédiction d’Haduma au lendemain de la
cérémonie : la jeune femme mettrait au monde un garçon aux yeux identiques
aux siens et on le nommerait Jondal. Il savait trop bien qu’Ayla voulait un
fils de son... ou de son esprit. Accepterait-elle que Noria en eût déjà
un ? A sa place, il serait certainement jaloux.
Par gestes, Ayla proposait aux chasseurs de dormir près du feu.
Plusieurs firent signe qu’ils acceptaient et partirent chercher leurs
fourrures. Ils les avaient cachées près de la rivière avant d’approcher du feu
dont ils avaient senti la fumée, espérant sans en être sûrs que c’était un feu
ami. Lorsqu’Ayla les vit contourner la tente dans l’intention de s’installer là
où elle avait attaché les chevaux, elle courut les en empêcher. Ils se
regardèrent avec surprise en la voyant disparaître dans la nuit. Ils allaient
avancer plus loin lorsque Jondalar leur fit signe d’attendre un peu. Ils
acquiescèrent avec force sourires.
Mais leur sourire se figea en un rictus effaré en voyant Ayla
revenir accompagnée de deux chevaux. Les tenant par la bride, elle essaya d’expliquer,
à grand renfort de gestes et de mimiques du Clan à l’appui, que ces chevaux n’étaient
pas comme les autres et qu’il ne fallait pas les tuer. Ni elle ni Jondalar n’étaient
sûrs qu’ils eussent compris. Jondalar craignait qu’ils pussent croire qu’elle avait
l’extraordinaire Don d’Appel des chevaux et leur avait apporté Whinney et
Rapide pour leur offrir comme trophée de chasse. Il proposa à Ayla de leur
faire une démonstration.
Il alla chercher une sagaie dans la tente et fit mine de l’enfoncer
dans les flancs de Rapide. Ayla s’interposa, croisa devant elle ses bras
tendus, et secoua énergiquement la tête. Jeren se grattait la sienne, perplexe,
et les autres écarquillaient les yeux d’un air ahuri. Finalement, Jeren
acquiesça, sortit une sagaie, la pointa sur Rapide et la ficha ensuite en
terre. Jondalar ignorait si l’homme avait compris qu’Ayla lui demandait de ne
pas tuer ces deux chevaux, ou lui interdisait de chasser les chevaux en
général, mais il était sûr que Jeren avant compris le principe.
Les hommes dormirent donc près du feu, et se levèrent à l’aube.
Jeren dit quelque chose à Ayla que Jondalar comprit comme un remerciement pour
le repas. L’homme adressa un sourire à la jeune femme quand Loup vint le
renifler et se laissa ensuite caresser. Ayla voulut les inviter à partager leur
repas, mais ils partirent sans manger.
— Quel dommage de ne pas parler leur langue, soupira
Ayla. Leur visite m’a fait plaisir, mais comment les comprendre et nous faire
comprendre ?
— Oui, je le regrette aussi, assura Jondalar qui aurait
bien voulu savoir si Noria avait eu son bébé, et s’il avait les yeux bleus.
— Dans le Clan, chaque clan possédait des mots inconnus des
autres, mais nous connaissions tous le langage des signes. Tous les clans
pouvaient communiquer entre eux. Dommage que les Autres n’aient pas de langue
commune à tous.
— Oui, ce serait utile, surtout quand on entreprend le
Voyage. Mais je n’arrive pas à concevoir une langue que tout le monde
parlerait. Es-tu sûre que tous ceux du Clan, où qu’ils soient, comprennent le
même langage des signes ? demanda Jondalar.
— Oui, mais ce n’est pas comme s’ils devaient l’apprendre.
Ils sont nés avec, Jondalar. Le langage est si ancien qu’il est incrusté dans
leur mémoire, et leur mémoire remonte à la nuit des temps. Et c’est loin, tu ne
peux pas imaginer comme c’est loin !
Elle frissonna en se rappelant la fois où Creb lui avait sauvé
la vie, et l’avait ramenée avec lui, allant à l’encontre de toutes les
traditions. La loi du Clan exigeait qu’elle mourût. Elle était d’ailleurs morte
à leurs yeux. Elle découvrit soudain toute l’ironie de son histoire. La
malédiction que Broud avait prononcée contre elle avait été injustifiée, alors
que Creb avait d’excellentes raisons de la damner : elle avait brisé le
plus puissant tabou du Clan. Il aurait dû la faire mourir, mais il ne l’avait
pas fait.
Ils commencèrent à lever le camp. Avec la précision et la
rapidité d’exécution nées de l’habitude, ils rangèrent la tente, les
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