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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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à peine, de sorte qu’il semblait résister à une lassitude de plus en plus dévorante, aussi tenace que sa volonté.
    Il fut pris d’une espèce de gaieté. Quelle gaieté ! Quel rire ! Un rire enroué, toussé, tellement insincère qu’Ogier lui-même en fut incommodé.
    — Pour qui se prend ce malandrin ? Il empunaise à lui seul autant que tous ceux que nous avons atterrés !
    La voix sifflait, persiflait. Elle s’amincit et devint douloureuse comme si la glotte, soudainement âpre et enflée, lui interdisait le passage :
    — Ils vont boire… boire… potailler jusqu’à plus soif pour se donner du cœur au ventre !… Eh bien, nous percerons ces cœurs et trancherons ces ventres !
    Le regard un moment allumé se ternit. Les mots se jouxtèrent en un râle où la rage excluait la souffrance. Guillaume vida son hanap comme pour noyer cet accès de fureur dans son vin coupé d’eau – une idée de Mathilde pour qu’il restât lucide.
    — Vont-ils nous assaillir ce soir, mon oncle, selon vous ? Bergerac est fort loin. Canole doit être plus las que vous… que nous…
    En quête d’une approbation, Ogier se tourna vers Tancrède. À l’inverse de Claresme, livide et frissonnante, son visage ne trahissait aucun émoi. Guillaume toussa et reprit :
    — Les hommes d’armes qu’il est allé quérir viennent d’abandonner un siège. Ils sont aussi recrus que leurs chevaux, excepté les piétons. Il a suffi que ce linfar revienne pour que ses charpentiers se remettent au beffroi. Et bien que la nuit soit noire, ils œuvrent avec joie. Nos archers tirent sur leurs feux et leurs ombres… hélas ! sans grand dommage.
    — Salauderie ! grogna le chapelain en repoussant son écuelle.
    — Quoi, salauderie  ? s’indigna Mathilde au passage. Il était mauvais, mon cuisseau ?
    — Je parlais du beffroi, ma bonne, sourit Clergue.
    — Ils veulent l’achever avant demain, dit Blanquefort. Pas vrai ?
    Sicart de Lordat acquiesça ; le sénéchal conserva la parole :
    — Ils vont apprêter la voie qu’empruntera leur chas [101] . Quand Canole est parti, ils en étaient à la moitié du remplissage du fossé, tant en profondeur qu’en longueur et largeur… Ils ont les pierres, les fagots et les hommes. Ils combleront le reste cette nuit… Par ce côté, ils attaqueront au lever du soleil…
    Le feu craqua. Un blessé gémit au loin et Mathilde tança Philippe, son bâtard. Tout était comme d’habitude. Et pourtant…
    — Le dernier heurt, peut-être, dit Guillaume. Et c’est pourquoi nul ne devra dormir toute cette nuitée. Les femmes, elles, devront se réunir au donjon.
    — Que pensez-vous faire, messire ? demanda Pedro del Valle.
    Le baron eut un geste évasif, mais sa voix recouvra enfin sa fermeté :
    — Est-ce que je sais ?… Voyez-vous, et je le répète, je crois qu’ils vont nous surquérir à l’opposé du mur de la Mathilde… Pendant que nous les refoulerons en cet endroit, ils achèveront le comblement du fossé.
    Un instant, Guillaume demeura immobile sur son banc, le regard noyé dans une des tapisseries de sa défunte épouse – l’apparition d’Obéron – cherchant peut-être dans l’expression des personnages une réponse aux questions qu’il se posait sur l’avenir de sa forteresse. Le feu de cheminée lui chauffait le dos : il avait pris froid, et c’était pourquoi, négligeant sa haute chaire, il occupait un faldesteuil. Par la fenêtre où la nuit bleuissait, il voyait les lueurs des flambeaux ; il entendait les cris des hommes transportant des seaux d’eau destinée à bouillir et ceux, plus rares, des enfants occupés à porter les derniers boulets sur le chemin de ronde. Par intervalles, quand la bourrasque soufflait en direction du château, il pouvait entendre également les roulements des peaux d’ânes et les stridences des trompettes, exprimant à eux seuls l’allégresse des ennemis heureux d’une mortelle récidive.
    — J’ai peur, bredouilla Claresme.
    Négligeant le regard étonné d’Arnaud Clergue, Pedro del Valle prit la main de la jouvencelle.
    — Allons, m’amie… Ne craignez rien.
    — Je me demande ce que fait Bressolles en ce moment.
    Cela dit, Blanquefort marcha jusqu’à la cheminée, tendit ses mains au-dessus des flammes, et annonça, sans forcer, semblait-il, la sérénité qu’il affectait depuis le début du repas :
    — Je vais voir nos hommes… réchauffer l’ardeur des plus tanés [102]

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