Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
coulaient, nombreuses. Ce désespoir enfantin replongea Ogier dans la réalité :
    — Tu étais derrière l’huis !
    Elle eut un mouvement de tête :
    — C’était plus fort que moi !… Elle ne vous aime pas… Elle n’aime personne.
    Il referma le col de la robe, et s’étonna du tremblement de sa main :
    — Mets-les à recueillette [97] .
    Puis il dévala l’escalier, flairant parfois ses doigts comme une fleur éclose.
    Il passa le reste de la journée sur les remparts, parmi les hommes.
    — Vous semblez malade, messire, s’étonna, inquiet, le petit Girard.
    Il le rabroua, bien qu’il sût qu’effectivement son visage était crispé, morose. « Ah ! les filles… » Dans ses rêves lourds de fatigue, il lui arrivait d’en étreindre. Au réveil, il se jurait de n’être jamais asservi à ses propres appétits, ni captif de la sensualité d’une femme, quelle qu’elle fût et quoi qu’elle fît pour le satisfaire – et même pour le combler. Soudain, alors que le soleil se tachait de pourpre, il évoqua sa bien-aimée : Anne, simple, docile. Tout l’édifice de douceur qu’elle incarnait pour lui depuis cinq ans s’était effondré… Non ! Cent fois non ! Elle ne pouvait subir les ardeurs du Thibaut.
    Il en était là de ses réflexions lorsque Thierry Champartel lui désigna la plaine :
    — Voyez, messire !… Ils sont tant qu’ils font comme un nuage immense.
    Le forgeron exagérait, mais ils étaient nombreux. Le cœur d’Ogier battit plus vite.
    — Et si c’était…
    — Non, ce n’est pas Bressolles ! grogna Camboulive. Ça ne peut être lui, puisqu’il est dans leur ost !
    Ogier, très pâle, se tourna vers l’archer :
    — Freine un peu ta malveillance… Mais c’est vrai : ce n’est pas Bressolles… Regarde, là-bas, cette bannière qui ventile. Et cette autre ! Ce sont les léopards d’Angleterre. C’est Canole… Il revient.
    Ils chevauchaient trois par trois. Ils avaient dû fournir une longue course. « Pas plus de cent », estima Ogier. Ils étaient couverts d’un tabard blanc, coiffés de fer. La plupart portaient une lance écourtée.
    Une ovation salua leur entrée dans le camp. Les piétons les entourèrent, aidèrent les hommes à quitter leur selle. Des heaumes, des chaperons volèrent dans le ciel en signe d’allégresse. Les ribaudes battaient des mains et sautillaient.
    — C’est la fin de notre sérénité, dit Blanquefort.
    Guillaume acquiesça, et ajouta :
    — C’est peut-être la fin de Rechignac.
    — Oh ! voyez, dit Ogier, le bras tendu. Un seul est demeuré à cheval… C’est lui  ! Et, ma parole, il pique des deux et monte vers nous.
    C’était Knolles.
    — Il vient nous ramposner [98] , dit Guillaume.
    — Tuons-le, dit Champartel en bandant son arbalète. À nous tous, nous l’aurons.
    — Non, dit Guillaume. Il nous faut connaître ses intentions.
    Parvenu devant le pont-levis, l’Anglais tira les rênes de son cheval, une bête énorme sous son houssement bleu et sinople ; à son chanfrein timbré d’un écusson vermeil ondulait un panache noir presque aussi grand que le plumail de son maître.
    — Oyez ! Oyez ! hurla Knolles sans paraître, cependant, s’inquiéter d’être entendu. Bergerac, ce matin, nous a ouvert ses portes !… Ses gens nous ont juré hommage et féauté !… Ils ont reconnu Derby comme leur seigneur, au nom du roi d’Angleterre !
    J’en reviens avec, sous mon guidement, les meilleurs hommes de la Compagnie blanche… Vous avez eu quatre jours pour souffler… Pour croire la belle vie de jadis revenue… Mais c’est fini : je vais mestrier [99] ce château !
    Le cheval piaffa, rua, et Knolles, penché sur son encolure pour éviter quelque flèche, partit comme il était venu : au galop.
    Blanquefort, Guillaume et Ogier échangèrent un regard.
    — Il ne nous reste qu’à attendre, dit le damoiseau.
    — Et à nous préparer, ajouta Blanquefort.
    — Féauté et hommage à l’Angleterre ! s’exclama Guillaume. Or, çà, pour qui ce malandrin me prend-il ?

II
    Guillaume reposa son hanap et, d’un revers de main, essuya sa bouche et les poils de sa banlèvre [100] . Ses paupières bordées de rouge s’écarquillèrent. Rouges en étaient surtout les commissures que le sommeil poivrait et humectait de larmes – ou d’humeur. Quant à ses yeux, s’ils avaient perdu leur éclat, ils avaient conservé leur autorité, leur franchise ; ils cillaient

Weitere Kostenlose Bücher