Le granit et le feu
Tancrède, méfie-toi : tu allumes des feux malfaisants. Si tu continues, ils formeront un brasier où tu périras.
— Cousin… Si tu pouvais voir ton visage ! Tu vas désormais, sans trêve, tisonner les braises de la flambée que j’ai allumée maintenant !
Elle rit, prenant son dépit d’autant plus en pitié qu’elle semblait en avoir estimé la véhémence. Qu’était-il désormais pour elle ?… En quelle estime ou dérision le tenait-elle ? S’il ne s’était pas prêté si volontiers à cet écart plus pervers que voluptueux, l’espèce de considération qu’elle lui avait vouée jusque-là serait demeurée intacte, bien qu’elle l’eût assurément pris pour un niais. S’y conformant avec une soumission qui maintenant l’indignait, il s’était déprécié… Son regard tomba sur sa main, témoignage de sa faiblesse. Jamais Anne ne se serait contentée de « ça ».
— Même si Passac t’a conquise, même si tu lui as cédé de grand cœur, cousine, ce n’est pas un homme qu’il te faut… C’est un esclave… un couard…
Et découvrant enfin le terme approprié :
— Un lèche-cul !
Tancrède s’esclaffa, mais elle était rouge de vergogne et, certainement, de fureur.
Il se sentit soudain hors de son obédience : désenvoûté. Elle le pressentit :
— Que je sois tienne ou non, je partirai, cousin. Quel dommage que tu ne veuilles rien comprendre… À chaque jour suffit sa peine… et son plaisir !… Tu aurais pu revenir céans de temps en temps… Me laisser m’accoutumer à toi… On met le doigt dans l’eau, puis la main, puis le bras… Le corps suit…
La lumière du dehors, en s’insinuant le long d’un mur et d’une colonnette, glissait sur ses cheveux, ses épaules, et avivait sur les dalles où la paille çà et là scintillait son ombre longue et frêle.
— Tu m’as obéi au doigt et à l’œil, cousin !
— Je m’en repens.
— Je m’en doutais… Ne te repens de rien. Laisse les saints macérer dans leur jus et bénis la nature qui nous procure ces choses… Pour moi, elles n’ont pas de nom… Nécessité fait loi.
Oui, elle avait prémédité depuis longtemps l’acte qu’ils avaient commis. Elle s’en était fixé les limites dans le seul but de l’asservir. Elle croyait avoir trouvé en lui l’exutoire des ardeurs qui la parcouraient, et qu’elle méprisait peut-être. En refusant d’accéder aux aspirations de son corps, elle demeurait maîtresse de son esprit. Mais quelles actions rêvait-elle d’accomplir ? Quels étaient ses desseins ? Qui voulait-elle devenir ? Avait-elle espéré se servir de lui avant de retrouver Passac ou un autre, chaque fois que l’animal prisonnier en elle, comme en tout être humain, réclamerait sa pitance ?
Il eût aimé pouvoir la condamner ; se condamner. Or, n’avaient-ils pas mis – elle plus que lui, certes – tout leur cœur dans cette espèce de prologue à une étreinte improbable ? Et quelles auraient été ses pensées à lui si tout avait été consommé ? Si Tancrède était devenue… Eh oui, quoi ! son amante… Aurait-il été bourrelé de remords en se disant : « J’ai commis un inceste » ou se serait-il senti plus dispos, plus prêt à batailler que d’habitude ?
Il ceignit son épée, reprit ses gantelets, coiffa son bassinet :
— Si je rencontre un jour Passac, je le provoquerai et l’occirai. Rien que pour t’en priver ! Je l’émasculerai et te rapporterai…
— C’est lui qui te tuera, cousin !
Il ne s’était donc pas mépris !
Il traversa la pièce et poussa la porte.
« Tiens, s’étonna-t-il, elle était ouverte ! »
Il aperçut une ombre dans l’escalier. Des cheveux roux, une gonne grise.
— Cousine ! Cousine !… Je plumerai et viderai ton hobereau. Et je chevaucherai sa Blanche en pensant à toi !
Il tressaillit : elle fondait sur lui, l’épée nue à la main. Il n’eut que le temps de repousser le battant. Il entendit le choc du tranchant sur le chêne.
— La garce… Mais elle devient folle, elle aussi !
Comme, descendant au tinel, il passait devant la chambre de Guillaume, une forme grise surgit d’une encoignure. Cheveux d’or, peau laiteuse ; les seins sortaient presque tout entiers par l’encolure du vêtement, ronds et solides.
— Messire ! Messire ! supplia Clotilde. Ce qu’elle n’a pas voulu, moi je le veux encore !
Ses yeux luisaient dans son visage blême : des larmes en
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