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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ces murs… Elle devait vous aimer bien… Elle n’a rien dit ? Rien fait ?
    — Ta mère ?… Toute jeune, le Thibaut lui avait appris à obéir. Bouche cousue. Elle m’aimait bien…
    Elle rêvait, j’en suis sûr, de quitter ces murailles. (« Comme Tancrède ! » songea Ogier.) Quand elle a eu connu ton père au tournoi de Bourges, si ma mémoire est bonne, elle n’a plus voulu revenir en ces lieux. Là, elle a montré une telle autorité que Guillaume a cédé ! Lorsque tu la reverras, interroge-la… Peut-être apprendras-tu des choses que j’ignore.
    Des hommes traversèrent la cour ; certains portaient des torches, d’autres des seaux.
    — Veillez à l’huile. N’en répandez pas une goutte.
    — Elle commence à manquer mais nous ne manquerons pas d’eau pour le même usage !
    — Montez encore des boulets.
    — Et des gerbes de paille.
    Blanquefort les montra du doigt.
    — Et ceux-là, Ogier, les connais-tu ?
    — Un peu mieux qu’au début du siège.
    — Il y a pire que la barrière d’une joute entre eux et nous… Chacun d’un côté, face à face, sauf pendant certains jours comme ceux que nous traversons. Ne trouves-tu pas cela injuste… inadmissible ?
    — Quoi ?
    — Cet espace entre eux et nous, plus large qu’un océan, plus profond qu’un abîme… À eux, les corvées, les dîmes de toutes sortes, le froid, la faim… Et si je peux, moi, parler ainsi : à nous les guerres, certes, mais aussi l’autorité, la justice et les liesses de toute espèce…
    — Ce monde est ainsi fait !… Qu’il soit mal bâti, j’en conviens, Hugues… Mais qu’y puis-je ? Si je me commettais avec les vilains, nous en aurions eux et moi du mésaise.
    — Hélas !… Mais peut-être te demanderas-tu un jour ce que les pétaux, qui forment le gros des armées, défendent à la guerre. Leur misère ? Ce serait étonnant ! Leur vie ? Un culvert occis est plus heureux qu’un culvert vivant, car il connaît les délices du Ciel… Alors quoi ?
    — Ah ! cessez de me titiller, protesta Ogier. Parlez-moi de vos amours. Au moins, je ne m’en contrarie point !
    Il se sentait tout à coup fatigué, accablé par la détresse de Blanquefort. Ainsi, cet ascète avait aimé. Une jouvencelle l’avait aimé : Guibourc de Saint-Rémy devenue contre son gré l’épouse de Guillaume. Il se dit : « Bon sang, leurs tambours avancent… Leur frainte [104] couvre leurs mouvements. Et Hugues ne bouge pas ! » Il demanda :
    — Mon oncle savait-il que vous aimiez cette pucelle ? Et aussi qu’elle vous aimait ?
    — Bien sûr. «  Toi, me disait-il, tu n’auras jamais un sou vaillant… Avec moi, elle aura tout ! » Il n’avait que faire de la… répulsion qu’il lui inspirait.
    Blanquefort gratta la courte barbe qui hérissait un menton aussi busqué qu’un devant de sabot. Ses joues semblèrent se gonfler de colère. Sa bouche s’ouvrit de biais ; il cracha, puis ses yeux, de nouveau, interrogèrent la constellation palpitante des feux. Certains s’éteignaient.
    — Ma vie a cessé d’avoir un sens quand elle est morte.
    Soudain, de l’autre côté du fossé, le silence se fît, durcit ; puis un tambour vrombit, et un autre, dix autres.
    — Ils sont plus emmerdants qu’un essaim de frelons !
    Replongeant dans ses souvenirs, Blanquefort poursuivit :
    — J’aurais pu partir le soir où elle fut ensevelie. Mais je devais demeurer.
    — Pour Tancrède.
    — Oui, pour elle… puisqu’il lui a donné ce nom-là.
    Ogier voulut parler. Demander : « Est-elle votre fille ? » Il ne le put. Mais il n’en doutait plus : les mêmes yeux ou presque, le même étrange caractère… Si Guillaume ne savait rien – à moins qu’il feignît de ne rien savoir –, Tancrède connaissait la vérité sur sa naissance, parce qu’un jour, las d’avoir mené une vie morne, incolore, malgré tout ce qu’il y avait accompli, Blanquefort lui avait révélé son secret.
    « Après tout, s’il a étreint Guibourc, qu’il aimait et qui l’aimait, en l’absence de Guillaume, tant mieux ! »
    Mais après, quelles formidables envies de recommencer avaient dû ronger ces deux coupables. Coupables ? Le garçon s’étonna d’en être arrivé là. Un pareil adultère était-il un forfait ? Voire ! En n’importe quel cas, lorsqu’il y avait une réciprocité dans l’amour, et que les sentiments de l’un devenaient comme l’unique et parfait refuge des

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