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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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semaine avant son fils… Le sais-tu ?
    — Non… Mais son épouse ?
    — La Blandine ? Une agnelle… Sache donc qu’un mois après ma naissance, au sortir de l’hiver où Martin, mon père, avait péri de froid, coincé sous un arbre qu’il avait abattu seul, ce fut au tour de Jeanne, son épouse et ma mère, de rendre l’âme… Thibaut m’a fait prendre aussitôt pour me garder ici… J’ai tété les seins de la nourrice de Guillaume, Noëlie. J’ai eu les mêmes jeux ou presque… Sous l’œil doux et résigné de Blandine, nous avons été frères de lait avant que de devenir frères d’armes !
    Blanquefort s’exprimait avec une ironie amère, qu’il atténuait parfois de petits soupirs. Soudain, sa voix devint sèche, brutale :
    — Mais à Guillaume, sans coup férir, les éperons à quatorze ans. À moi – tu pourras le demander à ta mère, qui naquit six ans après nous –, les besognes qu’on n’eût même pas données à un rustique… Surtout, ne parle jamais de cela à ton oncle ! Jure-le !
    — J’ignorais, Blanquefort, que mon oncle…
    Ogier s’en voulut d’avoir bégayé. Sa voix s’affermit, non sans mal :
    — Mais je vous jure d’être muet là-dessus !
    Il était attentif, un peu comme aux aguets : Blanquefort-le-Maussade s’épanchait !
    — Il a fait ses armes sur moi… Je ne pouvais me défendre comme je l’aurais voulu. J’étais un serf mais, pour éviter toute confusion dans ton esprit, j’étais plutôt un baliveau sur lequel ce brocard laissait des frayoirs [103] parfois sanglants… Il était vêtu de mailles ; j’avais un jaseron de cuir tellement rapiécé que je le comparais à ces croûtes de bouse qui font comme une écorce à la croupe des bœufs.
    Au loin, la multitude remuait ; des torches tressautaient, se croisaient, dissolvant un peu de noirceur autour, sans doute, de la tente de Knolles. Et sur cette terre tant douce à vivre, c’était à nouveau comme un bruit d’équinoxe, un jusant de mort troué de vagues de silence au creux desquelles on entendait des coups de marteau, des hennissements, des hurlements et les inlassables tambours.
    — Le père de ton oncle me détestait : j’étais son remords vivant – s’il pouvait en avoir ! Parfois, doutant de sa paternité, il m’accusait sans raison, m’humiliait, me bastonnait ou me faisait donner les étrivières… Cependant, un bâtard c’est précieux pour le cas où le vrai fils tomberait au combat ou ailleurs !… À la mort de Thibaut, je me suis vu devenir écuyer, donc obligé de suivre Guillaume… Et je l’ai suivi… Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Le château vieux – celui que tu connus un peu quand nous revînmes de l’Écluse – m’offrait asile, nourriture…
    Le damoiseau ébaucha un geste affectueux ; Blanquefort l’interrompit en lui saisissant le poignet, qu’il relâcha non sans l’avoir serré très fort, comme un homme qui s’enlise.
    — Ah ! certes, j’ai eu la vie plus belle que si j’étais demeuré au hameau !… Mais, vois-tu, il vaut mieux être piéton qu’écuyer… Écuyer ? Celui qui tient les armes du chevalier, mais ne les manie pas – ou si peu !… Celui qui intervient lors des mauvais moments et se fait souvent occire pour son seigneur… Celui qui ne peut aimer que les filles de basse condition, ce qui ne veut pas dire, tu me comprends : de mauvaise vie… Et après tout, comment glisse-t-on dans la déchéance ? Qu’est-ce que cela signifie ?… Il faudrait savoir… Seule Adelis pourrait nous raconter !
    Ogier eut l’impression que ce soir, émergeant de cette espèce d’amertume où il se complaisait depuis sa jeunesse prime, Blanquefort voulait parler. Pourquoi évoquait-il à ce point son passé ?
    — J’ai même aimé… J’étais aimé… Mais il l’a aimée, lui !
    —  Qui, lui  ?… Mon oncle ?
    — J’ai dû m’incliner. Elle aussi… Une fille ploie toujours devant son père, et celui-ci, tu t’en doutes, était un Saint-Rémy : le père du salopiaud que tu as jeté hors des murs.
    — Je commence à comprendre.
    — Elle était si jeunette, si peu faite pour résister… Guillaume la voulait, Josseran de Saint-Rémy l’offrait… J’étais un écuyer infortuné, fils de rien, pour ainsi dire… Que peut-on faire en pareil cas ? Fuir ?… Certes, mais en quels lieux ?… Comment vivre ? En guerroyant comme mercenaire ?
    — Ma mère était encore présente entre

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