Le granit et le feu
lice où vous vous tenez présentement. Ces combats y auront lieu. À vous de clore cet endroit avec les cordes et le bois dont vous disposez. Tous les arguments tendant à nous faire changer d’avis nous feront repousser vos propositions.
Un mouvement et un cri de mauvaise humeur d’Enguerrand de Briatexte saluèrent cette repartie. Piques, chevaux et piétons s’agitèrent. Seul Knolles resta immobile, transformé en statue équestre dans les huées et les gesticulations qui, bientôt, s’adressèrent aux défenseurs de Rechignac, plus attentifs que jamais.
— Soit, dit le routier, mettant un terme à son irrésolution et aux protestations de ses hommes. J’accepte la rencontre selon tes conditions, vieillard. Mais j’exige qu’elle commence à nonne [147] .
— Eh bien, soit, dit Guillaume.
— N’est-ce pas trop tôt ? demanda Pedro del Valle. N’auriez-vous pas dû reporter cette affaire à demain ?
— Non, dit Ogier. Passer une nuit à s’interroger… à se languir… Communier à l’aurore… Il me semble que je serais moins hargneux qu’à présent !… Viens, Jean… Et vous aussi, Hugues !… J’espère que Dieu nous aura en Sa Sainte garde !
— Bonne idée de penser à Lui, mon fils, dit Arnaud Clergue.
Enguerrand de Briatexte fit faire demi-tour aux picquenaires, et comme Tranchelion secouait Haguenier, qui hurlait, Guillaume l’interpella :
— Holà, gros lourdaud… Laisse-nous cet écuyer.
Knolles se retourna et agita furieusement son marteau d’armes.
— Que te faut-il encore, vieillard ?
Il criait à s’étrangler.
— Attends un peu, Canole… Par Dieu qui nous voit et nous juge, tu ne partiras pas ainsi… Tu es venu nous montrer notre martyr. J’en exige la restitution.
« Quelle tristesse, songea Ogier en se penchant. Trélissac n’a pas parlé. Il est vrai que je ne saurais dire moi-même où débouche le souterrain… »
Toutes les idées de grandeur qui, depuis l’enfance, avaient occupé son imagination se diluaient dans cette réalité répugnante. Voilà ce qui l’attendait peut-être un jour : être réduit à l’état de déchet !
— Comment puis-je te restituer ton bachelier, vieillard ? ricana Knolles. Baisse ton pont et laisse-moi entrer. Tu peux bien, pour cela, te fier à ma parole !
— Nenni, hurla le baron. Si tu rentres céans, Canole, c’est que mes trois champions seront morts.
Guillaume se tourna vers Champartel :
— Va me chercher des cordes et la claie qui se trouve à l’écurie… Allons, cours !
Puis, penché entre deux merlons :
— Nous allons envoyer une claie dans la douve… Descendez-y doucement notre compagnon et placez-le dessus… Arrimez-le sans le faire souffrir… Nous le remonterons.
— Soit, vieillard ! Je t’accorde ce que tu demandes. Mais agissez en hâte car ma patience est à bout !
Guillaume ne répondit rien. Il regardait Haguenier que Tranchelion venait d’allonger sur le sol. Le silence était tel, maintenant, qu’on entendait geindre le malheureux, et le baron, considérant Knolles, lui montrait un visage pétrifié, lourd de tant de détestation, hélas inassouvie, qu’il en sanglota de malerage :
— Le suppôt de Satan ! Le truand !… L’infernal !
Et tourné vers ses filles :
— Partez ! Ne voyez pas cela !
Ce corps, cette âme avaient cessé d’être Haguenier pour devenir cela. L’écuyer n’était plus qu’une chose innommable.
— Il y a tant de fermeté, de dignité chez ce gars que j’en suis confondu, dit Ogier. Canole ne saura jamais par où nous sommes sortis pour anéantir son beffroi !
— C’est vrai, mon neveu !… Mais que fais-tu là encore ?… Va t’apprêter ! À moins que tu ne veuilles le voir de près ? Crois-tu qu’il te fera peur et que cet effroi déploiera ton ardeur ?
Ogier ne sut que répondre. Ce n’était pas la peur qui l’avait immobilisé en cet endroit de la courtine ; encore moins quelque curiosité malsaine ; ni même l’angoissant mystère de cette mort qui serait longue à s’emparer d’Haguenier, même réduit à l’état de guenille. C’était le désespoir d’avoir mésestimé un émule digne d’intérêt. Trélissac avait protesté lorsque Saint-Rémy et Renaud l’avaient capturé. Il n’était en rien belliqueux, mais il s’était battu. Il avait enduré comme un preux ses souffrances.
— Le verrais-je de près, mon oncle, que j’en aurais d’autant plus de haine
Weitere Kostenlose Bücher