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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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devant eux, leur épée dégainée.
    Puis Arnaud Clergue, au pas traînant, mains jointes ; puis Thierry Champartel, vêtu d’une longue cotte empruntée au baron, coiffé d’une cervelière à nasal et levant haut le gonfanon des Rechignac ; puis Girard, précédant dix arbalétriers – hommes d’armes et manants – pareillement vêtus de mailles et allant trois par trois, avec Massoutier, le forgeron, en flanc-garde.
    Ogier se retourna. Tous avançaient d’un pas lent, uniforme et tellement processionnel qu’on eût pu croire qu’ils enterraient l’un des leurs… Et après tout, n’était-ce pas une cérémonie funèbre à peine anticipée ? Des champions de Rechignac, qui trépasserait ? Car il était incroyable qu’ils survécussent tous !
    Ils gravirent un talus à peine plus élevé que cinq ou six marches, et le damoiseau s’exclama :
    — Les voilà !
    De l’autre côté des barrières, toutes les hordes ennemies se trouvaient assemblées. Il aperçut une compagnie de picquenaires gascons, arrogants et haineux, hurlant soudain : «  Cadediou  » et «  Cadedis  », leur juron et cri de guerre, et à la gauche de ceux-ci, derrière trois bannières chargées des léopards, une cinquantaine d’archers vêtus de mailles et coiffés du chapel de Montauban. Près d’eux, les épieux et les guisarmes des hommes de la Compagnie blanche hachuraient la verdure des collines. Ils étaient alignés par cinq, leurs mailles couvertes d’une cotte dont la blancheur s’était grisée. Roides, muets, à eux seuls, ils inspiraient la méfiance ou la peur.
    — On dirait une armée de presbytériens !
    — Des presbytériens, Jean, qui ont converti Bergerac à Édouard.
    — Eh oui, Hugues ! soupira Ogier. Maintenant, au lieu des tambours, voici les tambourins et les grillettes des ribaudes !
    Elles se tenaient, invisibles, derrière les troupes. Elles emplissaient l’air d’une frénésie sonore qu’il trouva importune, jusqu’au moment où il se dit qu’elle corrompait aussi la sérénité des champions adverses. Plus ils auraient leurs nerfs, mieux cela vaudrait.
    — Les voilà, dit-il encore.
    Et son cœur eut un soubresaut.
    Contournant la malevoisine, repoussée le plus loin possible des murailles afin de dégager la lice, ils avançaient, cérémonieusement aussi, à la rencontre des délégués de Rechignac, et comme poussés au combat par Robert Knolles, auquel ils formaient un rempart de leurs corps et de leurs chevaux.
    Enguerrand de Briatexte s’était placé au milieu. Il montait un palefroi aux lormeries [156] et houssement de velours noir, et arborait un écu à ses armes : de sable à un lion d’argent, la queue fourchée. Il lâcha les rênes et dans l’ouverture de sa visière haut levée, Ogier aperçut ses yeux sombres, tellement étincelants de haine et de présomption qu’un frisson zébra la peau de son dos.
    — Salut, beau damoiseau dont je prendrai la vie.
    — Salut, laid malandrin que je vais atterrer !
    Chevauchant des noirauds à crinière longue, les deux autres champions semblaient des bûcherons : petits et trapus, blonds et barbus, ils portaient un branc [157] sur l’épaule. Ils étaient adoubés de chausses de mailles et de cottes treillisées : à chaque croisement des lanières de cuir brillait un rivet de cuivre. Une barbute avalait la moitié de leur tête. Quant au bouclier lié sur leur poitrine, comme un plastron, c’était, singularité troublante, une carapace de tortue de mer.
    Derrière ces hommes, tête nue, chatoyant de soie sinople et de velours safrané, plus paré de joyaux qu’une châsse, Knolles, le visage arrogant, chevauchait un roncin à la robe gris de plomb. Il n’avait pas jugé bon d’endosser un harnois de guerre, et seule une épée pesait à son côté.
    Ensuite marchaient vingt routiers vêtus de peaux d’ours, une cognée sur l’épaule ; vingt autres couverts d’une brigantine, hirsutes et mornes comme des pénitents dont ils portaient la coiffe noire, pointue ; et derrière encore les capitaines et les sergents devançant Mélipart et Bemborough en armure étincelante, puis trente picquenaires au moins, masse multicolore d’où jaillissaient des éclairs de métal.
    — Ce ramassis de malfaisants ne m’inspire guère confiance, avoua Ogier.
    — Pourvu, dit Jean, que ce linfar respecte ses engagements !
    Knolles vint se placer au centre de la lice. Aussitôt, ses champions l’entourèrent.

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