Le granit et le feu
tendu vers les lions diffamés.
Sans lâcher son bouclier, Ogier planta Confiance dans le sol :
— Mes armes vous emmerdent !
— Les Argouges ont-ils quelque traître dans leur lignage ?
Ne pas répondre. « Tu vas éprouver, malebouche, la vigueur de mes lions ! » S’il y avait eu évidemment surprise à Rechignac, nul n’avait proféré de remarque désobligeante à l’égard des fauves mutilés.
— Aucun traître, messire. Et l’infâme, c’est vous !
« Comment pourrais-je m’offenser des rires de ce fumeux ? »
Le cœur d’Ogier s’incendiait. De part et d’autre de la lice, les routiers et des gens du château se tenaient cois, n’osant troubler un silence déjà lourd de deuils imminents.
Une brève sonnerie d’olifant troua l’air ; Enguerrand de Briatexte hurla son enseigne :
— Brisa testa !
Le damoiseau s’attendait à quelque annonce avant le combat, comme c’était l’usage ; cependant, il se méfiait aussi d’une déloyauté ; il empoigna Confiance et rejeta, de son écu, le coup destiné à sa tête.
« Dieu m’aide », songea-t-il, les jambes ployées sous la violence du heurt, et le bras endolori jusqu’à l’épaule.
« Par le sang du Christ, il frappe fort ! »
À sa droite, Jean s’exclama : « Traîtres ! » À sa gauche, il y eut le tintement clair de deux lames franchement choquées, puis un bruit sourd : Blanquefort dont la vigilance avait faibli pendant les préparatifs, moins prompt que son antagoniste, devait être en difficulté. À cette idée, Ogier sentit éclater en lui une férocité, une haine infinies envers ces déloyaux adversaires :
— Vive Rechignac !… Courage, mes compagnons !… Nous vaincrons !
— C’est ce qu’on va voir ! ricana Briatexte.
Le garçon déjoua aisément l’arme ennemie lorsqu’elle surgit, droite et pareille à un épieu, puis taillante comme une cognée. L’acier de Solingen et le fer poitevin de l’écu sonnèrent clair sous cet assaut prévisible.
— Vous croyez-vous capable de me donner la leçon, malandrin asservi à la pire des engeances ?… Eh bien, vous perdez votre temps… avant de perdre la vie !
— Nenni, damoiseau ! ricana la voix derrière le bec de fer, tandis que les coups redoublaient. Le temps qui te reste à vivre… est fort court !
Ogier s’évertua à la sérénité. Il ne devait commettre aucune erreur. Et Jean ? Il se surpasserait : la vue du sang décuplait sa force et son audace… Blanquefort ? En dépit d’une habileté digne d’admiration, étayée par un constant courage, le plus vulnérable des trois, c’était lui. Bien qu’il se fût préparé à l’action sans abandonner cette paisible assurance qu’il mettait en toute chose, sa participation au dénouement du litige opposant Knolles et Guillaume ressemblait à un rite propitiatoire plutôt qu’à un engagement ferme et délibéré ; un sacrifice noble, exemplaire… Exemplaire ? S’il défaillait devant son larron, Hugues mettrait Rechignac en péril… Allons, le vétéran ne se laisserait pas manœuvrer !… Cependant, son adversaire avait de quoi le dominer : vingt ans de moins, une complexion vigoureuse, la promptitude et l’endurance.
Le silence comme tacheté de cliquetis, de jurons : après les premiers heurts, les combattants s’observaient, s’évaluaient, cherchaient les failles, les faiblesses adverses… Midi. Un soleil furieux, lui aussi… Vaincre !… Oh ! certes pas pour préserver, derrière soi, ces pierres soigneusement empilées. Vaincre pour sauvegarder ces compagnons et compagnes dont il avait perçu, lui, Ogier, l’anxiété grelottante. Briatexte ne l’apeurait point. Certes, ce démon frappait fort, mais il pressentait ses assauts, parait, reprenait aisément ses distances. Sous le poids du fer noir dont il s’était vêtu, ce goguelu finirait bien par se lasser. « Rechignac ne peut succomber ! » Vivre ! Vivre ! Et ces cris !… Eh oui, des encouragements. Et puisqu’ils tombaient des murailles, c’était que l’avantage allait aux champions de Guillaume… Oui, la frainte [159] , là-haut, leur était destinée.
— Ogier !
Qui vociférait ainsi ? Difficile à savoir dans ce déploiement de hurlements de plus en plus serrés. D’autant qu’en face, maintenant, Gascons et Anglais soutenaient aussi leurs champions.
— Ogier !
Qui ? Pourquoi ? Il n’était pas seul !
— Hugues ! Hugues !
Ces
Weitere Kostenlose Bücher