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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ou lèpre intérieure. La peur qui vous incendie le dedans, vous donne des suées, des tremblements… Aucun remède !… Rien… Saleté de malepeur… Elle devait filtrer de partout, pire qu’aux pires moments de ce siège sur son déclin. Elle l’atteignait aussi, lui, Argouges. Il se sentait comme engourdi. Ah ! non, il ne suivrait pas le conseil de Guillaume : il ne boirait que de l’eau et s’enivrerait des taillants et des estocades qu’il porterait à Briatexte.
    Dehors, il faisait bon. Devant les écuries on apprêtait Broiefort.
    « Non ! Je n’irai pas dire adieu à Marchegai ! Cela préjudicierait mon courage. »
    Où étaient Jean et Blanquefort ?
    Saladin s’approcha, la queue basse. Il semblait avoir tout compris. Le damoiseau lui flatta l’échine :
    — Ou tu me perds ou nous partirons très loin.
    Le souvenir d’Anne effleura son esprit. Elle était plus en sûreté dans la grotte où Thibaut l’avait entraînée qu’entre ces parois où leurs amours s’étaient brusquement interrompues. Ah ! certes, elle eût été plus angoissée que Tancrède en sachant qu’il allait livrer un combat mortel à Enguerrand de Briatexte. « Mortel ! »
    Ce mot-là vibra lugubrement dans un cœur qui semblait tout à coup appauvri de son sang.

VI
    — Regardez-les, dit Blanquefort. Par l’épée de messire saint Michel, on les croirait à la fête !
    Les survivants s’étaient groupés le long de la muraille, garnie de tapisseries et d’écus, reliant la Mathilde aux tours portières. Surveillant la lice dont l’ennemi bruyant venait d’occuper une extrémité devant eux, ils attendaient l’apparition de leurs champions, groupés près du puits, à l’ombre maigre des chênes. Déjà, la herse montait.
    — Pauvre Rigobert ! dit Jean. Quand je pense à Renaud…
    — Ne parle pas de ce couard ! grogna Guillaume, tête nue, en se portant devant ses champions.
    Il avait endossé son haubert de Rouen, sans tabard. Des éperons dorés, longs comme des couteaux, garnissaient ses houseaux. À son flanc pendait Aigredure, nue, luisante ; et sous lui Broiefort dansait, nerveux et frémissant.
    — Il paraît comme fou après tant de réclusion !
    Le destrier portait un chanfrein de cuir bouilli, peint en vermillon. Prolongeant la barre qui montait des naseaux jusqu’entre les oreilles, enfermées dans des étuis taillés en biseau, une têtière donnait l’essor à un plumet composé de pennes d’oie et de paon. Telles les lourdes paupières d’une tortue, deux coquilles de fer protégeaient les yeux de l’animal. Sa sellerie était de cordouannerie rouge sang et de velours chatoyant aux couleurs de Rechignac – jaune et noir – avec des chasse-mouches à clous d’argent et un hausse-queue de clinquant. Mathilde et Margot avaient tressé sa crinière, Ameline et Isaure le long panache qui, de la croupe, allait titiller ses jarrets. Ses sabots vernissés scintillaient au soleil.
    — J’espère, mon oncle, que demain Marchegai…
    Ogier s’interrompit. Sur les murailles, quelqu’un soufflait dans une trompe. Le pont-levis déclina.
    — Il tombe… Tous en bon et sûr arroi… Allons-y ! cria Blanquefort.
    —  Alea jacta est, dit quelque part, dans la suite, Arnaud Clergue.
    Si peu de mots qu’il eût prononcés, tous tremblaient.
    Ils s’engagèrent sous l’arche noire, et le tablier résonna de nouveau sous les sabots et les semelles. Le ciel bleu, les verdures des pentes lointaines semblèrent monter à leur rencontre. Nul ne jeta un regard en bas. Et sitôt le fossé franchi, malgré la puanteur qu’exhalaient les cadavres, Ogier crut respirer plus librement, bien qu’une émotion infinie comprimât sa poitrine.
    — Soyez tous beaux et fiers, insista Blanquefort. Imposons notre dignité à cette truandaille.
    Guillaume les précédait tous. Derrière, venaient les fils de Mathilde, Eudes et Philippe. Vêtus d’une cotardie de velours de Gênes cramoisi, le poignard à la ceinture et les jambes gainées de taffetas bleu et vermeil, ils portaient sur des coussins de soie noire, l’aîné, le heaume du baron, le puîné ses gantelets.
    Ensuite avançaient les champions : Blanquefort au milieu, Ogier à sa gauche, Jean à sa droite, et derrière eux, dans une de ses armures dont il tenait le bassinet sur sa hanche, l’épée battante, Pedro del Valle, flanqué de Blasco et de Martinez, couverts d’écarlate et corsetés de fer, présentant de biais,

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