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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sont nos morts et nos blessés.
    — Je vous suis.
    Il y avait du sang çà et là sur les dalles. Des hommes titubants descendaient dans la haute cour. D’autres, deux à deux, soutenaient des corps inertes.
    — C’est surtout quand c’est fini qu’on s’aperçoit qu’on s’est bien défendu, mon neveu… Cependant, nul ne peut deviner ce que nous deviendrons.
    Sidobre, tête nue, vint à eux, l’air hagard. De la sueur coulait de son grand nez abrupt.
    — Mon gars… Vous avez vu mon gars, mon pitiou ?
    — Pas vu, dit Jean, proche d’Ogier.
    — Il était derrière un merlon… Il ne m’a pas quitté, pour ainsi dire.
    — Je l’ai aperçu, dit Ogier.
    — Je t’avais dit de le descendre, grogna Guillaume. Et tu ne l’as pas fait ?
    — Ah ! là là, dit Sidobre.
    Du sang maculait ses mailles. Il repoussa son carquois dans son dos. Il tremblait. Son angoisse avait changé d’espèce et de volume. Il regardait partout et nulle part.
    — Mon fils ?
    — L’homme, dit Ogier, le cœur pincé par un mauvais pressentiment, il ne doit guère être loin… À un moment, la presse ici était grande. Il a dû courir se mettre à recueillette et sauveté [38] .
    — Cherchons-le, dit Sidobre.
    Ensemble, ils firent le tour des murailles.
    — Raoul ! Raoul ! appelait parfois le maçon.
    Puis il interrogeait ses compères :
    — Vous avez pas vu mon gars ?
    Ils haussaient les épaules et remuaient négativement la tête.
    — Sacrédieu, où qu’il est ?
    — Sidobre, dit Jean, tu crois pas qu’au lieu de chercher sur les hauteurs, on devrait aller voir dans la cour… et même au donjon ?… Allons, viens !
    Il descendit et bientôt, d’en bas, fit des signes au maçon :
    — Eh ! là-haut… Je l’ai trouvé.
    — Ah ! enfin… dit Sidobre en s’engageant dans un escalier.
    Ogier le suivit, soupçonnant un malheur.
    Jean baissait la tête.
    — Là-bas, dit-il.
    Il y avait cinq corps sur le seuil de la chapelle : quatre hommes et un enfant. Sidobre se précipita :
    — Raoul !
    Il avait beau hurler, soulever, remuer, secouer son gars, Raoul ne ressusciterait pas. Il avait un visage gris, la bouche crispée sur des caillots, les yeux ouverts, révulsés.
    — C’est mon pitiou, dit le maçon en calant la tête du défunt contre son épaule bourrelée de fer. Mon fils ! Il me suivait comme un chien… C’est pas possible ! Pas possible !
    Ogier ne sut que dire ; une honte infinie l’étranglait : il était vivant, témoin d’une douleur atroce et sans remède.
    Soudain, le maçon poussa un cri de rage et arracha le trait planté dans le flanc de son fils :
    — Voyez, messire Ogier : c’est pas une sagette anglaise ; elle vient de chez nous… Encore heureux qu’on l’ait pas brisée… Des comme ça, j’en ai encore plein mon carquois… J’en ai préparé hier, et sais de quoi je cause. On a assez plumé d’oies et de canards. Qui a fait ça ?
    Ogier saisit la flèche dont il considéra l’empenne. Sidobre disait vrai : ce trait avait été préparé la veille ou l’avant-veille à Rechignac.
    — Tu as raison, l’homme, dit-il. C’est un grand malheur. Quant à savoir qui est inhabile à ce point, je ne puis hélas ! t’éclairer… J’avoue que je ne comprends pas.
    Sidobre berçait son enfant sans mot dire. Il attendait une réponse, un responsable, un jugement : toutes choses impossibles. De grosses larmes roulaient dans les crevasses de ses joues.
    — J’avais qu’un fils, dit-il… Un petit cœur vaillant…
    Il posa l’enfant sur le sol, s’agenouilla et, les mains jointes et les yeux au ciel :
    — C’est pas possible, Seigneur !… Pas possible !
    Il secoua furieusement l’enfant :
    — Réveille-toi… Réveille-toi !
    Et, levant son visage en direction d’Ogier :
    — Pourquoi lui et pas un vieux cagou de mon espèce, hein, messire ? Pourquoi ?
    — C’est la volonté de Dieu, mon fils, dit Arnaud Clergue en s’approchant.
    Le maçon tendit le poing au chapelain.
    — Dieu !… Dieu !… Je renonce à croire à Sa miséricorde. Il me l’a tué… Il s’est assuré de l’un des nôtres pour peupler son maudit paradis !
    Ce courroux blasphématoire secoua le chapelain tout autant qu’Ogier. Des mots consolants ? Apaisants ? Clergue n’en proféra aucun. Il ne pouvait en trouver. Il avait joint les mains, il priait : le damoiseau lui trouva la tâche facile. Il se tourna vers

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