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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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tout perdu, dit songeusement Aliénor. Maison, mari…
    — Avez-vous des enfants ?
    Elle parut offusquée qu’il l’a connût si peu.
    — Je me suis toujours trouvée bien aise d’être telle que Dieu m’a faite, messire… À quoi bon enfanter des malheureux… Désormais, autour de moi, c’est le vide et… j’ai peur.
    Ogier ne se méprit pas : c’était un cri de détresse, et la turbulence qui animait cette inconnue avait un nom. Mais lequel ?
    — Vous avez préservé votre vie, Aliénor. C’est l’essentiel.
    Elle sortit de l’ombre, les bras toujours croisés sur sa poitrine. Un mouvement du cou suffit à rejeter sa crinière en avant, et de ses doigts, elle en tordit l’extrémité mousseuse. Puis elle la rejeta. Ses pommettes hautes, saillantes, sur lesquelles insistait la lumière du jour désormais affirmé, soulignaient la mélancolie de ses yeux, dont Ogier n’eût su dire s’ils étaient bleus, verts ou noisette. Sa bouche rouge, charnue, se pinça :
    — Saint-Rémy me proposait de l’épouser.
    — Et il exigeait un gage ?
    Elle soupira. Elle avait de gros seins enfouis dans sa camisole. Sa robe de tiretaine grise, effrangée, la serrait si étroitement qu’une couture avait craqué, à la hanche. Ogier vit un lambeau de peau, long et large comme deux doigts.
    — Qu’est-ce qui vous tourmente, Aliénor ? Saint-Rémy et les Goddons ne sont pas vos seuls soucis !
    Elle se courrouça :
    — Bah ! laissons ce vieux bouc et ces linfars, messire. Après que nous avons eu quitté le hameau, votre oncle et son sénéchal, dans leurs arrangements, n’ont pas prévu que les hommes nous tourneraient autour, entre deux assauts, surtout nuitamment.
    — Ils essaient de…
    Il fut surpris d’être oppressé. Elle fixait sur lui des prunelles brillantes, animées d’un éclat de pierre noire ; elle sourit :
    — Et comment, messire !… Oh ! pas tous… Mais le fait est que nous dormons à peine.
    Elle se mit à marcher, féline, agitée comme une flamme blafarde. Dans l’ombre mate de la toiture, elle resplendissait de féminité.
    — S’ils assaillent à plusieurs l’une d’entre nous, que pourra-t-elle faire, sinon… accepter ? Certaines ont pu même y passer… Elles se taisent par crainte ou par vergogne… Le respect s’en va, messire… Et ces malefaims-là, toutes ne peuvent les supporter.
    Il sourit, se prenant lui-même en dérision : cette malefaim, n’en était-il pas atteint ?
    — Ces hommes se battent, Aliénor. Ils vous protègent… La mort est sur eux comme le toit de cette tour au-dessus de nous. Certains veulent un réconfort, d’autres cherchent des compensations… Il y en a des bons et des mauvais… Ils ne sont égaux qu’en vaillance.
    Il devait d’ailleurs leur ressembler, esprit et corps : pas lavé, pas rasé… Il se promit d’aller le soir même aux étuves.
    — Je comprends fort bien qu’ils veuillent une semblance d’amour. Il n’empêche que dans les galetas où Blanquefort nous a mises, nous sommes mal disposées à le faire !
    Comment avait-elle vécu, au hameau ? Il ne l’avait croisée qu’une vingtaine de fois en cinq ans… Il l’avait quelquefois saluée d’un hochement de tête auquel elle répondait avec beaucoup de componction. Et soudain, ils étaient là et se parlaient familièrement. Elle saisissait même sa main couverte de charpie.
    — Mon homme faisait tous les sabots de ceux de Saint-Rémy.
    Plus encore que par son attitude et les crispations de cette main sur la sienne, Ogier devina en cette femme, par le timbre de sa voix, au-delà de sa fureur, de grandes zones assoupies, prêtes aux impétuosités de toute espèce. Pourquoi le prenait-elle pour confident ?
    — Un jour, Saint-Rémy nous a dépêché un homme, Cabanis, pour prendre une commande… Calixte était parti chercher du bois à Savignac… J’ai donné les deux sacs de sabots – dix paires –, au Cabanis, et comme son seigneur nous devait des écus, je suis montée en croupe pour aller quérir notre dû.
    Ogier recula. Prompte, elle toucha, sur son visage, la cicatrice du coup de fouet.
    — J’ai appris votre affaire avec Didier, messire… Il était aussi malfaisant que son père. C’est pourquoi je vous parle de tout cela. Vous allez voir…
    Les doigts quittèrent la joue blessée. Ogier les sentit glisser sur son épaule tandis qu’Aliénor, un moment songeuse, souriait :
    — Messire… auprès de vous, je suis

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