Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
blessée sans paraître éprouver la moindre douleur. Il avait agi si promptement, avec une telle aisance, que les hommes présents murmurèrent.
    — À quoi bon ces efforts, Hugues… Je peux vous aider. Tout ce fer difficile à porter pèse un bon poids.
    — Je le crains, dit Girard, approuvé par Thierry Champartel et les témoins de cette scène saturée de fureur et d’angoisse.
    Blanquefort titubait sous son fardeau.
    — Laissez-moi vous aider, Hugues ! insista Ogier. Et si vous attendiez qu’elle soit bien remise ?… Il suffirait de la soutenir. Elle est robuste… Vous pouvez tomber dans l’escalier.
    Le sénéchal se retourna. Un flot de colère surgit des profondeurs de son être :
    — Non ! Moi seul… Je la porte au donjon… Morbleu, je sais ce que je dois faire !
    Il toucha de l’index la poitrine d’Ogier. De nouveau la froidure occupait son regard :
    — Demeurez. Je vous passe le commandement le temps que je la dépose et revienne.
    Il partit. De loin, Jean avait assisté, perplexe, à cet affrontement. Il s’approcha :
    — Il est las… Et cette lassitude le rend injuste, dit-il, presque compatissant.
    Ogier l’approuva : c’était à l’attitude outrée du sénéchal la seule explication possible. Immobile et contrit, bien qu’il n’eût rien à se reprocher en l’occurrence, entouré de ses compagnons chez lesquels la rigueur du sénéchal provoquait des grommellements, il se contraignit à sourire :
    — Je commande en attendant son retour… Revenez, vous, à vos places. Les vieux et les femmes aux chaudrons !
    Inquiet, il se retourna.
    Blanquefort marchait les genoux écartés pour maintenir son équilibre. Secoué par le pas raide que lui imposait son fardeau, son corps se pliait plus qu’il ne l’eût voulu. Dans son dos pendaient la tête et les bras de Tancrède.
    — Bon Dieu, il peut trébucher et choir dans le vide avec elle ! C’est moi qui aurais dû la porter.
    — Eh oui, messire Ogier, ricana Thierry. Mais c’est comme si vous aviez un rival.
    Il l’eût maintenue serrée contre lui par les cuisses tout en disant : « Cousine, les robes, même humbles, et… la nudité te conviennent mieux que l’armure. » Il entendit le sénéchal, désormais invisible :
    — Place !… Place !… Mais non : ce n’est qu’une commotion.
    Ses genoux vacillaient, à lui aussi. Il songea qu’en présence de Guillaume, Blanquefort eût agi différemment : «  Sang Dieu, on aurait dit qu’elle lui appartenait… Qu’est-ce donc que cette dévotion singulière ? » Non seulement il se sentait humilié – il l’avait été publiquement – mais encore l’intransigeance du sénéchal avait éveillé en lui un ressentiment pareil à de la jalousie.
    — Pour qui se prend-il donc, ce vieux loup ? grogna Jean.
    D’un avant-bras rageur, il épongea son visage tout en donnant des coups de pied dans les flèches, les pierres et les carquois dispersés sur les dalles.
    — Holà !… Apaise-toi, dit Thierry Champartel. D’ordinaire, Hugues est bon.
    Au loin, Margot et Aliénor confabulaient avec des hommes.
    Ogier s’approcha du bord intérieur du chemin de ronde, parqueté en cet endroit, et soutenu par des consoles de chêne. Des flèches y étaient plantées, qu’il eut envie de rompre pour apaiser sa fureur.
    — Ma parole, ce vieillard devient fou.
    Blanquefort traversait la cour. Mathilde, Eudes et Philippe – une torche à la main –, des femmes et enfin Guillaume couraient à sa rencontre.
    — Oui, pour qui se prend-il ? répéta Jean d’une voix enrouée de dépit.
    — Ah ! si je le savais…
    — Voyez, messire. Elle ne pouvait recevoir la mort.
    Ogier examina le bassinet que Thierry venait de lui tendre.
    — Pas une bosse, pas un creux, sauf là, sur le colletin… Du fer comme on en voit peu, hein, Thierry ?
    — Désormais cette… cette… damoiselle se tiendra quiète.
    — Pense d’elle ce que tu voudras. Mais sache qu’elle ne sera jamais quiète… Tiens, vois ce que je vois !
    Tancrède était debout, chancelante, mais debout. Au milieu de la cour, en présence de Blanquefort immobile et muet, Guillaume l’admonestait.
    — C’est moins terrible qu’on croyait, commenta Jean. Je ne méritais pas toute cette ire… Pas vrai ? Il ne vous a point ménagé aussi, messire ! Un moment j’ai cru qu’il allait vous bûcher [47] .
    Ogier ne put qu’approuver. L’incident était clos mais tout comme

Weitere Kostenlose Bücher