Le granit et le feu
s’approchait, sévère :
— Pardon, damoiselle… ou damoiseau… Mais vous, messire, il vous faut venir.
Ogier apprécia la plaisanterie du garçon. Il le suivit sans regret, criant : « Place ! Place ! », écartant parfois une femme, un vieillard, un combattant abruti de bruit et de fureur.
La Mathilde. Sa tour. Était-elle menacée ?
— C’est ici, lui dit Champartel, juste au creux de la courtine et de la muraille. Mais nous arrivons trop tard.
Ogier se faufila parmi les archers pour se pencher au-dessus du parapet. Dans la grisaille de la nuit commençante, il distingua une échelle rompue, une autre intacte, en travers du fossé ; une douzaine de corps immobiles.
— Belle besogne, compères, dit-il en se relevant.
Il y avait, outre Champartel, Girard et Matthieu, un soudoyer, deux maçons et un homme du hameau.
— Eh oui, belle besogne, messire, approuva Girard. Nous en avons occis je ne sais combien… Les autres n’ont pas insisté… Jean n’aurait pas dû aller vous quérir… À nous seuls, en nous aidant de cette perche, nous les avons refoulés sans trop de mal… Les pierres que nous avons jetées ont fait le reste…
— Avec les grandes birettes que je vous ai forgées, dit Champartel, les rejets sont aisés, pas vrai ?
L’homme d’armes et ses compagnons acquiescèrent. Lui se nommait Jules ; les maçons : Hippolyte et Rigobert, l’autre Clément. C’était tout ce qu’Ogier savait d’eux. Et aussi qu’ils étaient vieux mais vaillants. Il tapa sur l’épaule de Jules :
— Belle prouesse en vérité. Quand ces malfaisants s’en iront, nous viderons ensemble une chopine à leur défaite.
— On fait ce qu’il faut, messire. Et je suis d’accord pour potailler jusqu’à plus soif. Mais faudrait peut-être, ajouta Rigobert, que ces trois armuriers nous apportent leur aide.
Tous y pensaient sans doute. Il fallait apaiser ces quatre-là.
— Craignez rien. Ils ouvrent pour moi, tu dois le savoir, Rigobert. Mais je te promets que tu les verras près de toi si le danger se précise.
— Et Bressolles ? demanda Jules.
— Il nous aide à sa façon.
— Y a-t-il un souterrain ?
— Oui… Alors, reste quiet et vaillant comme un preux !… Je repars… Je vais faire compliment de vous à mon oncle et à Blanquefort… Soyez fermes et bachelereux [45] !
Jean avait disparu. Suivant Champartel, Matthieu et Girard, Ogier frôla de nouveau sa cousine. L’épée au côté, bras ballants, elle s’exposait toujours. Aveuglement ? Insolence ? Pourquoi Guillaume et Blanquefort ne l’avaient-ils pas renvoyée au donjon ?
— Si tu perds la vie à ce jeu-là, crois-moi, Tancrède, je ne prierai pas pour ton âme !
Et furieux qu’aucun cri n’eût surgi du bassinet demi-clos, d’où seul apparaissait un sourire étrange, un peu tremblant, le garçon courut jusqu’au sénéchal.
— Tout va bien là-bas, Hugues. Les Goddons ont reflué…
— La nuit tombe… Nous avons perdu des hommes en votre absence… Votre oncle aide Salviac à en porter un à la chapelle.
— Qui ?
— Armengaud… Il encombrait le passage… Ce Canole a de bons archers… S’il est tel que je pense, il va ramener ses larrons en arrière… Mais méfions-nous. Dans leurs retraites, ils sont aussi perfides que des Parthes… Ah ! j’avais raison : voyez.
Le sénéchal désignait, devant la perrière, le lourd Tranchelion au torse écaillé de fer. Sur un ordre de Briatexte, le colosse emboucha une trompe à sa taille : une défense d’éléphant.
Quatre fois, le barrissement ondula au-dessus du vacarme. Aussitôt, les échelles tombèrent, et derrière leurs boucliers, accablés d’une pluie de flèches, les routiers refluèrent vers la contrescarpe, dont ils entreprirent l’ascension.
— Ils relinquissent ! jubila Blanquefort, le cou tendu.
Tumulte bienfaisant : des rires, des cris d’orgueil, des murmures de satisfaction émerveillée circulèrent sur les parois. Se détournant vers Aliénor et Margot qu’il entendait s’ébaudir, toutes proches, Ogier grogna :
— La folle !
Soutenant fermement Tancrède, Jean la ramenait à l’escalier par lequel elle était apparue. C’était l’unique raison de l’hilarité des femmes.
— Vous l’avez vue, Hugues ?… Mon oncle l’a-t-il vue et l’a-t-il approuvée ?
Blanquefort s’approcha d’une embrasure et, sans cesser d’observer l’ennemi :
— Guillaume l’a fortement
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