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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’autre côté du corps de sa cousine.
    — Assommée, Hugues, dit-il en considérant ce visage immobile, comme endormi, où seuls quelques cheveux frissonnaient. Une pierre grosse comme le poing, pareille à celles qui jonchent les dalles autour de nous.
    — Tancrède, appela de nouveau le sénéchal.
    Il n’avait pas dit : « Damoiselle », comme à l’accoutumée. Dans ses mains crispées, les écailles de fer restaient molles. Ogier se releva. Jean s’approcha et chuchota :
    — Faut pas le contrarier. Au fond, il la connaît depuis sa naissance. On dirait…
    Le garçon rechigna à livrer sa pensée. Blanquefort lui lança un regard furibond.
    — Gros couillon, dit-il, fallait la faire choir en même temps que toi !
    Quelque chose d’analogue à un hoquet secoua Jean :
    — Merdaille, vous en parlez à votre aise. J’y suis pour rien, je vous dis. Je suis resté debout devant elle. La pierre l’a frappée sur le côté. C’est son colletin qui a subi le dommage. Sans ce fer, elle était morte. Je l’avais prévenue de se hâter. J’ai voulu l’entraîner. Elle m’a résisté. Elle s’est moquée… Elle s’est même réjouie de mes reproches. Pas vrai, Girard ?
    Le soudoyer approuva.
    Le sénéchal les regarda tous, méchamment. Il respirait à grands coups et se contraignait au silence. Il ôta ses gantelets et tapota les joues blêmes, figées.
    — Tancrède ! Mon enfant ! Ouvrez les yeux !
    Ogier considéra sa cousine. Pâle, mais nullement morte : elle respirait. Et les détails de cette scène embrassée d’un nouveau coup d’œil s’imprégnaient en son esprit d’une façon douloureuse : lui, Argouges, plus attentif que soucieux ; Blanquefort, livide, agissant et parlant avec une autorité, une angoisse, une paternité usurpées à Guillaume absent. Et Jean, qui s’éloignait, enfelonné [46] par tant d’iniquité. Et tous ces témoins muets qui du regard s’interrogeaient. Et Margot, Aliénor faussement compassées.
    Il se pencha sur le corps immobile et vit frémir le visage et la bouche. Entre les paupières, la ligne blanche des yeux s’agrandit.
    — Cousine !
    — Allons, c’est sûrement plus grave que vous le croyez, dit Blanquefort d’une voix moins rude.
    Ogier haussa les épaules. À quoi bon discuter… Était-ce toujours un homme fort qu’il avait devant lui ?
    Il éprouvait dans tout son être il ne savait quoi d’étrangement flou. Les événements terribles auxquels il venait de participer, avec, pour conclusion, l’assommade dont cette fille hautaine avait été victime, lui avaient ôté, semblait-il, la perception exacte des choses. L’attitude du sénéchal le consternait et l’agaçait. Blanquefort semblait s’évertuer à le devancer en tout : sentiments, propos et gestes.
    « Mais pour qui se prend-il pour nous traiter ainsi ? »
    La terreur l’avait traversé, lui aussi, avec la célérité, la violence d’une flèche, en apercevant l’armure abattue, mais aussitôt, il l’avait dominée. Au contraire de Blanquefort dont la détresse presque larmoyante et l’injustifiable conduite envers Jean lui paraissaient soudain vulgaires, inadmissibles. Il s’endurcissait, c’était l’évidence. Et Blanquefort venait de lui prouver qu’il pouvait, lui, sombrer dans des compassions excessives.
    « Bon sang, c’est vrai qu’il était seul à sa naissance. C’est vrai qu’il peut l’aimer comme une fille… Mais tout de même, il aurait pu se contenir. »
    — Hugues, elle est saine et sauve. Le fer l’a protégée. Tenez : elle cligne des paupières.
    Pâle et ressuscitée – au moins pour Blanquefort –, Tancrède reprenait conscience et respirait, désormais, à grands traits.
    — Cousin…
    Levant la tête, Ogier sourit au sénéchal :
    — Eh bien, vous voyez… Elle me reconnaît… Allons ! Pleurez, Hugues ! Épanchez vos humeurs noires ! Je n’ai pas crainte, moi, de mes larmes.
    À l’angoisse brusquement rétractée de cet homme irritant, il pouvait sans retenue, maintenant, opposer la moquerie et son propre soulagement.
    — Alors, cousine ? As-tu compris cette leçon et cet avertissement ?
    Il se pencha, ébaucha le geste de relever la jouvencelle ; les mains de Blanquefort vinrent à l’encontre des siennes.
    — Attendez… Je m’en charge.
    Le sénéchal saisit Tancrède aux aisselles, et en un tournemain, avant qu’Ogier eût pu s’opposer à ce geste, il la hissa sur son épaule

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