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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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cousin, que tu n’en crois pas tes oreilles. Une voix si pure dans un corps…
    La jouvencelle s’interrompit et le damoiseau se demanda la raison de son animosité contre Adelis. Elle ne lui avait rien fait. Pourquoi avait-il cru discerner, dans le plus innocent des mots qu’elle avait prononcés, comme une aversion ?
    Il s’éloigna, seul et heureux de l’être parmi toutes ces ombres frileuses, attentives, accablées d’angoisse, de pluie, de fatigue. Tout était paisible. Froid et paisible.
    Comme la mort.

V
    Un sommeil bref emporta Ogier jusqu’aux confins de l’aube. Il se leva, observé par Titus et Saladin, et plongea son visage râpeux dans l’eau d’une bassine emplie la veille au soir.
    « Il me faudra dire à Thierry de trancher tous ces poils qui m’enlaidissent. »
    Il endossa son haubert, ceignit son épée, coinça son poignard dans sa ceinture d’armes et se coiffa de sa cervelière. Suivi par son chien, il se hâta vers les murailles.
    Guillaume et Blanquefort, tête nue, l’attendaient. Ils lui montrèrent, en bordure de la contrescarpe, des mantelets, des écheliers nouveaux composés de troncs et de branches de châtaignier à peine écorcés puis, de loin en loin, des cordes roulées en plets, longues de plus de trente aunes et terminées par des grappins.
    — Ils ont apporté ça cette nuit, dit Guillaume à voix basse, comme s’il craignait d’être entendu par l’ennemi.
    — Ils s’acharnent, dit Blanquefort.
    Tandis qu’il observait les profils tendus des deux hommes, le damoiseau s’étonna de leur ressemblance : même front droit et, entre les sourcils, la même taroupe de poils gris ; même nez camard ; même bouche proéminente sous la moustache et, enfoui dans une friche de couleur à peine différente, même menton relevé en galoche.
    — Il était inutile de crier à l’arme quand ils ont apporté tout ce que tu vois là, mon neveu, mais cet étalage nous prouve qu’ils reviendront.
    — Nous voilà samedi 20, dit Blanquefort. Je ne sais l’emploi que Canole fera de son dimanche, mais j’ai idée qu’il lui plairait de festoyer en nos murs.
    Le sénéchal s’éloigna sans qu’Ogier eût pu percer toutes ses pensées.
    — Jamais ils n’entreront, dit Guillaume. Même si contrester [48] à ces monstres nous coûte du sang et des larmes… Nous avons, mon gars, perdu dix-neuf hommes. Trente-sept sont atteints plus ou moins malement.
    Ils parcoururent le chemin de ronde. Parvenu entre les tours portières, le vieillard se pencha.
    — Holà ! mon oncle. Prenez garde.
    — Rien à craindre : ils sont revenus sous la feuillée.
    Le baron désigna les morts dans le fossé :
    — C’étaient des cœurs vaillants. Nous les avons atterrés, percés, escarbouillés… Ils n’ont point forfait à l’honneur qui existe aussi bien chez eux que chez nous.
    Puis, la main tendue :
    — Observe Canole, là-bas, dans le soleil levant. Il s’est esseulé pour prendre une décision.
    — Que pensez-vous qu’il fasse ?
    — Ou bien il décrète que ses malandrins doivent recommencer ce matin, ce tantôt ou ce soir, et dès lors ils nous grièveront jusqu’à ce qu’ils aient notre peau… Ou bien, il hésite… Il ignore à quel point il nous a affaiblis… Ah ! Bressolles ! Bressoles ! Hâte-toi donc !
    Ogier pinça les lèvres sur un sourire attristé.
    Guillaume avait éprouvé une assez tortueuse satisfaction en assistant à l’encerclement de sa forteresse : il voulait savoir comment ses parois résisteraient à un déferlement de chair et de fer. Maintenant, l’ivresse de l’orgueil assouvie, son immobilité contrainte indignait cet homme épris d’espace et de chevauchées éperdues. Son château devenait à la fois une espèce de geôle et de tombeau. Toutes ces vies fauchées net ; toutes ces affreuses blessures ; tous ces cris de haine et d’effroi… La superbe du vieux seigneur était certes satisfaite : aucune autre citadelle que la sienne eût été capable de résister aussi parfaitement aux envahisseurs avec une aussi maigre garnison. Mais sa conscience, atteinte par le doute et le désespoir, suppurait : si les secours tardaient, son grand vaisseau de pierre serait submergé par une vague irrésistible. Certes, il y avait le donjon ; encore faudrait-il pouvoir s’y replier.
    — Les as-tu vus essayer d’entrer par la poterne ?
    — Oui, mon oncle.
    — Ils y ont renoncé. Vingt au moins sont morts rôtis. Je

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