Le granit et le feu
de la petite… Guillaumette traversait la cour au moment où le feu et les rocs y tombaient… C’est là qu’une pierre presque aussi grosse que sa bedaine a griévé la pauvrette alors qu’elle allait atteindre l’enfant.
— Et cette Guillaumette, elle est vivante ?
— Et comment !
— Pauvre Lucie !
Le visage de Mathilde rougit violemment ; elle se redressa et frappa les dalles de son sabot :
— La pauvre, certes !… Selon vous, Dieu peut-il quelque chose pour elle ?
Plus silencieux qu’un serpent, Arnaud Clergue s’était approché. Son visage adipeux, exsangue, exprimait du mécontentement. Les mains jointes, la cordelière pendante et le chapelet à la hanche – comme une sorte d’arme molle et usée –, il considéra la moribonde, et ses sourcils se froncèrent.
— Eh oui, Mathilde, Dieu seul peut accueillir en son sein cette martyre et le petit corps enfermé en icelle.
— Elle devait faire ses couches dans deux ou trois jours, à ce qu’elle m’avait dit… Peut-être avant, selon moi… et je m’y connais.
Mathilde désigna le ventre gonflé, sous les hardes tachées de sang et de poussière. Ogier se sentit mal à l’aise. Que signifiait cette insistance ?
— Son petit est fait, et sûrement bien fait… Il remue. J’ai passé la nuit auprès d’elle… Toute la nuit… Même pas le temps d’aller pisser…
— Ma fille ! protesta le chapelain.
— À la lueur de ma chandelle, je regardais, mon père, le fruit de ses entrailles.
Arnaud Clergue fronçait toujours les sourcils, mais une expression de mépris et d’horreur tourmentait sa bouche : ce ton hargneux lui déplaisait. Il y eut un moment de silence pendant lequel la grosse femme et le cordelier se défièrent. Ils s’étaient compris. Ogier, un frisson dans le dos, pressentit ce qui allait suivre.
— Un fruit mûr tout prêt à sortir, mon père.
— Ma fille !… protesta encore le chapelain. Non ! Non ! Non ! Dieu qui nous voit…
— Il est loin, et nous le prouve hélas ! chaque jour.
Le chapelain s’éloigna en haussant les épaules.
Dieu ? Après sa joute avec Bressolles, il n’en voulait plus discuter.
Mathilde se tourna vers Ogier :
— Venez.
Elle saisit le garçon par son poignet et l’entraîna. Au passage, il aperçut Adelis. Accroupie, elle entourait le genou d’Aspe d’un linge. L’homme avait les mâchoires serrées, le front humide et les yeux clos. « Elle fait désormais partie de notre mesnie. » Il fut près de lui faire compliment de son chant, mais Tancrède apparut, repoussant à plus tard une louange indispensable.
Il s’arrêta devant l’Aristide Joulet. Sa femme, Huguette, était à son chevet.
— Comment va ? demanda Mathilde.
Huguette remua une épaule :
— Il se plaint.
« Une sagette lui a percé les tripes, se dit Ogier, penché. Il va dévier. »
Les yeux secs d’Huguette, négligeant le sergent plaintif et malodorant, se posaient, convoiteux, sur l’Anselme, un maçon de vingt ans de moins que l’Aristide et qui, le bras dextre entaillé, plié contre sa poitrine, reposait auprès du malheureux.
Quand elle eut pris conscience des deux regards posés sur elle, Huguette caressa d’une main légère les cheveux grisonnants de son époux. Cette feinte tendresse indigna Mathilde.
— Carogne ! marmonna-t-elle, sans pour autant troubler la jeune femme.
Tancrède s’approcha. Elle s’était vêtue d’une robe noire, si étroite au buste qu’elle l’ajustait autant qu’un pourpoint.
— Que se passe-t-il, cousin ? Je ne t’ai jamais vu un visage aussi maussade.
— Il se passe, intervint Mathilde, agacée, que la Lucie va mourir…
— Je m’en doutais ! Il lui manque un peu de crâne et de cervelle… Je croyais même, la voyant hier soir, qu’elle trépasserait cette nuit… J’ai pu ainsi juger de ma bonne chance d’avoir porté un bassinet.
— Clos ton bec, femmelette, grinça Mathilde outrée par tant d’impertinence.
La joue de Tancrède fut parcourue d’un tressaillement. La commère joignit ses mains et les tortilla. Son visage gras et rose s’enfiévra, tandis qu’elle s’adressait à Ogier :
— Ah ! là là… Griveau ne m’a jamais autant manqué… Il était ce qu’il était, mais avec lui, j’aurais pas hésité, c’est sûr !
— Explique-toi, dit Tancrède.
Droite, hautaine, elle posait sur la concubine de son père des yeux étincelants de souveraineté, de
Weitere Kostenlose Bücher