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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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suis descendu voir… La herse a tenu bon.
    Un soupir – tristesse et fatigue – ; ensuite :
    — Cette nuit, des gars ont à nouveau fossé le sol de la chapelle… J’y ai fait enterrer les corps sans cérémonie… Dix-neuf ! Ils laissent sept veuves et six orphelins.
    Ils marchèrent en silence, puis :
    — Tiens, Ogier, voilà la tour qu’ils veulent me grignoter par le fruit.
    Le damoiseau se pencha et considéra la tortue formée par huit boucliers assemblés. Il tendit l’oreille.
    — Ou mon ouïe devient mauvaise, ou ils sont partis.
    — Non, ils sont là… Cette nuit, ils cognaient comme des diables… Ils vivent à l’étroit dans la tranchée qu’ils ont creusée sous leurs écus… À en juger par le petit tas de cailloux que tu vois à côté, le mur tient bon… Il n’empêche que lorsqu’ils s’y attendront le moins, nous les arroserons et les écraserons un bon coup !
    Puis brusquement :
    — Et ta main ?
    — Guérie ou presque… Je l’enveloppe de charpie par précaution.
    — Ah ! la Mathilde s’y connaît… Mon épaule va mieux… Tancrède, l’insensée, me paraît rétablie.
    Ogier s’abstint de tout commentaire.
    Lentement, le soleil transperçait un mur de nuages roses. À l’entour de Rechignac, le pays reprenait son aspect, ses dimensions, ses teintes verdoyantes. Dans le champ de Robert Knolles, les feux seuls témoignaient d’une sorte d’énergie.
    Le damoiseau quitta sa cervelière : il avait besoin de sentir le vent jouer dans ses cheveux. Le haubert dont il s’était couvert lui pesait. Regardant la calotte de fer qui avait protégé sa tête, il vit qu’elle était éclaboussée de sang. « Qui ? » se demanda-t-il. Éric, le maçon de vingt ans auprès duquel il s’était trouvé un moment près de la demi-tour nord ? Tachoire, l’archer barbu comme une bogue ou un oursin ? Il décochait ses traits en grognant : «  Prends ça » jusqu’à ce qu’un carreau l’eût atteint en plein cœur… Alvès, le couvreur, mort d’une sagette dans l’œil en appelant sa mère ? Quinsac, le sergent dont une darde avait percé le cou ?… Des jeunes et des vieux auxquels il n’avait guère parlé, souri, adressé un geste courtois.
    « Je me suis mal conduit. J’ai été fier… Trop fier… Et même, avant tous ces combats, fallait-il que je seigneurie [49] le commun pour complaire à mon oncle ?… Mais l’ai-je seigneurié ?… Si oui, je m’en repens ! »
    — J’ai vu Roupérious tomber près de moi. Mort d’un coup. Quels sont les autres, mon oncle ?
    Guillaume soupira et crocha ses pouces à sa ceinture d’armes.
    — À quoi bon ? D’y penser me met l’âme en peine… Je voudrais connaître le fredain [50] ou l’écervelé qui a tué le fils Sidobre !
    Ogier eut un sursaut ; sa gorge se serra :
    — Maintenant que vous le dites… Deux ou trois fois, des sagettes ou des carreaux ont sifflé à mes oreilles. On décochait ces traits de l’intérieur. Mais je ne sais plus quand… Le premier a failli m’atteindre alors qu’auprès de moi Raoul vidait le carquois de son père… Le deuxième quand je versais des rochers dans un mâchicoulis… C’était moi qu’on avait en bersail [51]  !
    Guillaume secoua sa tête opiniâtre : il approuvait cette conjecture.
    — Garde-toi et tâche de savoir qui te veut du mal !
    Reprenant sa marche, le vieillard contourna par respect plus que par mésaise une flaque de sang.
    Ogier gagna les écuries. Il y bouchonna et abreuva Marchegai puis, Saladin sur ses talons, il se rendit au donjon. Devant la cheminée, appuyé au dossier de sa chaire, le baron, l’air morne, mangeait un reste de jambonneau.
    — As-tu faim, mon neveu ? Prends des forces bien que par nécessité la pitance soit maigre.
    Ogier remua négativement la tête. Des rides fripèrent le front et les joues de son oncle.
    — Non ?… Tu as tort. Manger est une des rares satisfactions qui nous restent.
    De la pointe de son couteau, il désigna le coin du tinel réservé aux mourants et aux blessés :
    — Ils voudraient bien se garnir la panse… Tiens, Hippolyte a pris cette nuit une sagette dans le ventre… Il les croyait partis et s’est approché trop près du merlon défoncé. Il est mort juste avant que je morde dans ce pain rassis.
    — Nous nous étions promis de nous porter la santé le jour de son départ.
    — Il s’en va bien plus loin qu’il ne l’avait prévu… Sale

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