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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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belle que la milanaise. Un fer plus épais : impénétrable. »
    Comme pour acquiescer à son propos, l’orage se courrouça. Un orage sec, aux fureurs étincelantes ; un ciel aux arborescences touffues, aux zébrures d’acier promptes et sauvages. Il semblait que les nuées, après des craquements d’arbres prodigieux, vidaient de loin en loin de pleins tombereaux de gravillons sur la terre.
    Dans le vaporeux clair-obscur de la chambre, le damoiseau se mit à recomposer son armure sur les dalles, ajoutant, à chaque éclaircie, un membre au torse de fer. Elle devint pareille à un gisant de métal, tantôt sombre, tantôt resplendissante quand la nuit entrouvrait ses tentures pour trancher, d’une arme prompte, quelque lieu de la campagne. Alors, par l’accentuation insolite des bombés et des contours, par la magie venue d’En-Haut avec les premières gouttes de pluie et qui semblait parfois remuer ses membres, le temps d’une fulguration, l’œuvre de fer s’embellissait d’une vitalité miraculeuse.
    Ils formeraient un couple merveilleux. Réceptacle de son corps, protectrice de sa vigueur, cette écorce sublime postulait ce soir une existence vraie. Il la lui donnerait. Ils vaincraient Blainville ensemble.
    — Tu es belle !
    Il y avait tant de vie parfaite dans cet ingénieux assemblage forgé à sa semblance qu’il fut secoué par un sanglot de bonheur et de fierté.
    — Mon armure !
    Ses yeux le picotèrent. Joie ou sommeil ? Plus encore qu’en compagnie de Clotilde, il aurait épicé d’un plaisir ardent cette journée au terme de laquelle, maintenant, la pluie tombait à verse.
    Une crainte ou une curiosité lui vint, dont il fut indigné tandis qu’il l’exprimait à mi-voix :
    — Que fait-elle ? Est-elle demeurée sur les aleoirs pour défier les éclistres et l’effoudre [78]  ? Ce serait bien d’elle, cette hardiesse inutile !
    Il résista au désir de marcher vers la fenêtre surtout lorsqu’il eut entendu un cri. Était-ce bien « Ogier ! Ogier ! » ou l’appel implorant d’une bourrasque à une autre ? Il l’imagina courant vers le donjon, tous ses appas révélés à travers la fine étoffe ruisselante. Elle devait être transie. Bien fait pour elle !
    Agenouillé comme devant une sainte relique, il tâta le fer d’une cubitière. Fer poitevin, meilleur que celui de Milan : plus épais, plus solide et plus souple aux jointures. Il en était persuadé. C’était aussi l’opinion de Blanquefort [79] .
    Il s’aperçut que sa fièvre empirait. Pour l’apaiser, il s’allongea sur les dalles, si près du vêtement de fer qu’il le touchait du coude, de l’épaule et du genou. Il était adossé, il roula sur le flanc, passa un bras sur le plastron qu’un éclair, le dernier peut-être, fourbissait.
    — Tu es belle et bientôt nous nous ferons honneur.
    Il l’enlaçait comme une chaste et fiable compagne. Dehors, le ciel pleurait la perte de ses épées, épieux et bombardes, et la lune enneigée annonçait du beau temps.

DEUXIÈME PARTIE LE GLAIVE ET LES ÉPERONS

I
    — Rien, Ogier ?
    — Rien, mon oncle… Je n’ai ni bougé ni dormi de la nuit.
    — Quatre jours sans aucun remuement… Quatre jours vides ! Le beffroi inachevé. La jetée abandonnée…
    — Sans doute, mais ils ont monté d’en bas tant de pierres qu’ils pourraient construire une muraille.
    — On verra… on verra… Canole et ses capitaines sont peut-être partis pour toujours, et leurs piétons attendent un nouveau chef… Derby, Kenfort, Penebroch [80] … Nous voilà le 26, jour de la Saint-Barthélemy… N’es-tu pas las ? Je ne t’ai jamais tant vu sur nos parois.
    — Leur inaction est tellement étrange que ma contention s’en trouve accrue.
    — La mienne commence à s’épuiser. Tu peux sourire : c’est la vérité vraie !… Et encore, je ne me plains pas : mes nerfs tiennent. Tu devrais aller te reposer.
    Ogier acquiesça. Se reposer ? À peine serait-il enfermé dans sa chambre que Clotilde frapperait à l’huis.
    Le baron cracha au-delà d’un créneau.
    — Et tous ces morts puants… Et ce roi ou ce duc Jean, surtout, qui aurait dû paraître… Souviens-toi de ce chevaucheur, Savignol, je crois, qui devait nous l’amener !
    — Peut-être a-t-il trouvé la mort sur son chemin.
    Dans la cour obscure passaient trois hommes. Des culverts armés : c’était leur tour de guet. Que pensaient-ils de cette inertie ? De cette paix fragile,

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