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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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développé la jactance des mâles. La plupart d’entre elles leur vouaient une reconnaissance un peu rude – à leur image ; d’autres se signalaient à l’attention de quelques-uns par un merveillement, mérité ou non, duquel ceux-ci tiraient un orgueil sans outrance. Cependant, aux protestations qui parfois trouaient le silence nocturne, le damoiseau comprenait que certaines filles ou femmes s’indignaient d’être les objets de désirs abrupts, ignorant qu’après la dernière bataille l’ardeur des hommes leur était tombée du cœur au ventre et que leur virilité, avivée par la violence et la fureur, avait besoin de s’affirmer sans trop de vellications dans la conquête et la possession.
    Auraient-elles pressenti la médiocrité de leur rôle que les naïves et les honnêtes eussent renoncé à une aménité que les plus turbulents pouvaient interpréter comme un signe de disponibilité alors qu’elle était l’expression d’une gratitude innocente ? Quelles qu’elles fussent d’ailleurs, libres ou non, les assiégées de Rechignac, dévisagées, évaluées, appréciées ou dépréciées comme des captives sur un marché d’Orient, ignoraient qu’elles étaient devenues des proies, des compensations, des orifices. Elles croyaient leurs guerriers enclins à la tendresse, voire à la délectation ? Ils ne songeaient qu’à s’accoupler : « Je te préserve des viols qui te menacent. Tu me dois bien ça ! » Entourées par ces hommes et ces adolescents qu’elles trouvaient soudain plus attrayants et plus membrés que d’ordinaire, quelques-unes, sages ou effrontées, recouvraient les émois de leur puberté ; d’autres, niaises ou finaudes et cherchant un époux, soignaient leur mise, leur coiffure dans l’espérance d’être distinguées par les plus avenants ; les pucelles roucoulaient ou se querellaient pour une œillade, un sourire, puis s’enfuyaient, résolues à se garder – combien de temps ? Sauf les vieilles, confinées au donjon, toutes se savaient cernées par ces concupiscences lourdes ; toutes sentaient glisser sur leur chair les avidités de ces hommes en rut. C’était comme une épidémie d’amour aux remèdes diversifiés. Pour conserver son époux, la vertueuse devait renier ses reculs, ses pudeurs, ses migraines, sous peine de le voir chercher ailleurs des satisfactions immédiates. La mal-mariée qui jamais n’avait rassasié pleinement ses appétits pouvait, quand son époux veillait sur les hauteurs, errer du côté des granges : elle était assurée d’y ripailler à l’ombre. La veuve – même récente comme Aliénor, Margot et Pâquerette – pouvait être consolée, soit par un galant veuf ou non, soit par un hardi jouvenceau. Celle qui n’avait cessé d’être maltraitée pouvait connaître enfin des égards mirifiques et, se croyant choyée selon ses vœux, gémir différemment qu’aux saisons des sévices. Quant à la drôlesse insatiable, elle ne chômait point sous le chaume.
    Il y avait aussi les laides et, parmi celles-ci, une boiteuse et un bec-de-lièvre. Sentant passer sous leur gipon le souffle vigoureux de ces priapées, elles erraient, la nuit venue, aux lieux les plus obscurs pour condescendre à des assouvissements véloces et aléatoires, partant dépourvus de la béatitude espérée. Mais quoi : Dieu leur avait fourni un sexe ; au moins, par lui, elles ne différaient d’aucunes. Toutes ces femmes estimées plus dérisoirement que d’ordinaire ne s’étaient jamais senties aussi indispensables. Et suzeraines. Déjà, au sortir de la chapelle où elles ne manquaient point d’expier leur péché pour le mieux récidiver dès que possible, quelques-unes s’observaient d’un œil moqueur ou méprisant ; déjà, des hommes échangeaient des lobes [81] venimeux, voire des menaces à propos des privautés dont ils se vantaient. Des deux côtés, le plaisir étanché peu ou prou, la défiance et l’égoïsme annihilaient la bienveillance, voire des amitiés qu’on avait crues tenaces.
    — À quoi penses-tu, mon neveu ?
    — Je pensais que notre guerre s’assortit déjà de corps à corps.
    Le nez de Guillaume se fronça. Il eut un geste vers les fossés :
    — La flaireur de leurs charognes est plus forte qu’hier.
    Rechignac sentait la peur, le sang, la suette et les humeurs d’une vie en partie sens dessus dessous et qui s’écoulait plus intensément que naguère. Cette moiteur pernicieuse dégageait aussi

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