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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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endroit et risquer la mort au moment où j’en avais fini ? se plaignit un homme au visage rougeaud sous sa chevelure brune, qu’Ogier ne reconnut pas, tout d’abord. Vous voyez ce pont-levis ?… Un geste et je peux l’abaisser… Je suis sûr qu’ils nous respecteraient si nous leur ouvrions. Ils sont aussi hodés [84] que nous.
    — Cesse tes gailles [85] , Rigobert, dit Margot Champartel en se relevant.
    Elle était vêtue de noir de sa coiffe aux sabots. Son couteau rougeoyait dans sa paume. Voyant l’homme s’éloigner à pas vifs en direction des tours portières, elle commenta :
    — Faut le comprendre, messire Ogier. Il est de Perpignan. Cinq ans qu’il œuvre à Rechignac… Là-bas, il serait à l’aise… Après tout, l’Aragon ça vaut mieux que la France !
    — Il nous semble à tous, Margot, que notre vie serait meilleure, en ce moment, partout ailleurs qu’où nous sommes.
    Au dépit de ne savoir comment rassurer ces gens s’ajoutait, pour le damoiseau, la gêne de leur fournir, involontairement, dans son armure neuve, une image extérieure de lui-même faite d’orgueil et de sérénité.
    — On se demande si cette géhenne va durer longtemps, continua Margot. Certains prétendent qu’il aurait fallu obéir à l’Anglesche quand il nous a enjoint de le recevoir… Hé ! Hé ! messire : le Rigobert n’est point seul. Mais pour les dénoncer, faut pas compter sur moi !
    — Obéir à l’Anglesche ? s’écria une commère soudain debout. Moi, les couards de chez nous qui osent parler ainsi, je les voudrais bien connaître ! Quant au Rigobert, il est fol… Ça se voit grossement mais moi, je lui pardonne.
    Trente ans. Sèche, blonde avec des tresses aussi grosses que ses bras, haillonneuse et sentant la suie, telle était Colinette Massoutier, l’épouse du forgeron. Elle toussa et se détourna pour sécher de sa manche son nez pointu. Satisfaite, elle offrit ses yeux noisette, humides, à l’examen d’Ogier.
    — Faut vous dire, messire, que ce siège commence à nous hérisser. Laurent, mon homme, pense que Bressolles est mat… Mais ça n’empêche pas la confiance en Dieu, même si son ministre, en nos murs, foire chaque jour un peu plus dans son froc !
    Penchée sur un vieillard chauve, à la barbe en friche, occupé à ouvrir le ventre du bœuf, la commère interrogea :
    — Edmond, toi qui ne parles guère : que se serait-il passé si les Goddons et les Gascons étaient entrés céans en amis ?
    — La même chose, Colinette, que s’ils entrent maintenant en ennemis.
    — Ça ne fera guère de changement à nous qui vivons les uns sur les autres… les femmes plutôt en dessous !
    De l’index, Aliénor toucha le plastron de fer étincelant :
    — Vous, messire Argouges, avec ce que vous portez sur le corps, vous ne craignez rien !
    — Ah ! oui, fit Edmond avec une espèce de plaisir sauvage, en travaillant de son couteau le ventre béant.
    À cause de ce ventre, le courroux d’Ogier fut plus fort que sa raison :
    — Je crains les coups autant que vous. Et ma peur quelquefois est pareille à la vôtre… Quand, Edmond, tu puisais de l’eau à la citerne pour éteindre le feu du logis des soudoyers, j’étais là-haut avec nos hommes pour contenir la fureur des malandrins… Et je ne sais pourquoi je reste en vie plutôt qu’un autre !
    — Il a raison, dit Aliénor en s’accroupissant pour reprendre le sanglant découpage.
    — Mille regrets, messire, dit Colinette. Ce beffroi nous effraye. On se demande si ce coup-ci vous pourrez retenir ces méchants.
    Le damoiseau n’avait jamais vu tant de hurons d’aussi près. Ils avaient les yeux chagrins, les mâchoires serrées dans une expression d’incertitude à laquelle il compatit.
    — Ces forcenés ont perdu au moins deux cents hommes. Ils ont bien le double de navrés au-delà du fossé… Je veille aux créneaux avec vos maris, vos fils, vos frères… Voilà deux nuits, j’ai entrevu des feux du côté d’Agonac… Une armée doit s’y former qui viendra nous secourir.
    Si seulement la petite graine d’espérance qu’il jetait dans ces esprits pouvait lever !
    — Je vous crois pas, dit Colinette. Mais c’est un petit péché que ce mensonge-là… J’étouffe en ces murailles et ne suis pas la seule !
    À cet instant, la machinerie du châtelet se mit en branle.
    — Rigobert… Bon Dieu, Rigobert, gémit Margot. Il en parlait et il l’a fait.
    Avec ses

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