Le Gué du diable
bandelettes jambières avaient été disposées sur un siège, près duquel on avait posé, à terre, chaussures et bas. Pas de casque, ni aucune arme. Un fourreau pour glaive court.
Doremus fit dénuder le cadavre qu’il examina minutieusement, sans formuler aucune remarque. Ermenold avait regardé ces investigations d’un air hautain. Quand elles furent terminées, il demanda, du bout des lèvres :
— Alors ? Quelle observation miraculeuse as-tu faite ?
— Aucune autre que celle que tu aurais pu faire toi-même !
Le comte d’Auxerre tourna ostensiblement le dos à l’assistant des missi pour lancer :
— Allons donc voir sur place, à ce Gué du diable, s’il n’y a pas des indices plus intéressants qu’ici à découvrir !
Ermenold, accompagné par Arger et le doyen Favier, et suivi par quelques colons, quitta Toucy et se dirigea vers les abords du gué qu’il gagna rapidement. Doremus paraissait musarder à distance. Le comte, son vicaire et Favier franchirent la rivière pour gagner l’emplacement où avait été trouvé Wadalde assassiné. Sans descendre de cheval, ils jetèrent un coup d’œil sur le lit de l’Ouanne et les alentours du gué. L’ancien rebelle, lui, commença à examiner, à pied, le sol de la sente qui, sur les terres du comté, menait à la rivière.
Il fit venir Arger.
— Je suppose, lui dit-il en montrant des bouses, qu’on avait attelé des bœufs à la charrette devant ramener le corps de ce malheureux Wadalde à Toucy.
— Quoi d’autre ! rétorqua le vicaire en haussant les épaules.
Doremus traversa l’Ouanne sans difficulté et reprit ses recherches. Les deux sentes qui convergeaient à faible distance de la rivière délimitaient, en triangle, une sorte de tertre, desservi par un très court raidillon permettant de grimper au milieu des fourrés. L’ancien rebelle y trouva un espace dégagé d’où l’on pouvait apercevoir le gué lui-même et les champs alentour. Il s’attarda à en étudier le sol, ainsi que les buissons qui le cernaient. Il redescendit sur la partie du chemin donnant immédiatement sur l’Ouanne et chercha à nouveau des indices, mais le piétinement des colons qui avaient découvert et transporté le corps avait brouillé toutes les empreintes.
Le comte d’Auxerre avait apparemment terminé ses propres investigations.
— J’aimerais bien aller jeter un coup d’œil par là, dit-il en indiquant la direction où se trouvaient les terres des Nibelung. Oui, je voudrais voir à quoi ressemblent ces esclaves frisons que tu dis, Arger, si laborieux et si paisibles.
Guidée par le vicaire, la petite troupe suivit un chemin de champ sur plusieurs centaines de pas, puis déboucha sur une emblavure que sarclaient une douzaine de cultivateurs, hommes et femmes. Quand ils la virent s’approcher, ils s’égaillèrent, apparemment saisis de frayeur. En un instant tous eurent disparu, sauf un gaillard, plus courageux ou plus curieux que les autres sans doute. Il se tenait à la corne d’un bois en une position qui lui permettrait de fuir aisément dans les taillis. Ermenold et son escorte s’avancèrent lentement. Quand ils furent arrivés à une centaine de pas de lui, l’homme déguerpit.
— Dis-moi, vicaire, lança le comte d’Auxerre, ces Frisons n’ont pas l’air d’avoir la conscience si tranquille !
Doremus observait la scène sans mot dire.
— Bon, poursuivit le comte, on ne va pas leur donner la chasse. On sait où les trouver, n’est-ce pas ! Donc, Arger, tu vas m’amener à Auxerre leur doyen et deux ou trois autres avec lui. Je veux éclaircir cela. Et s’ils ont quelque chose à confesser, ils ne tarderont pas à me le dire, sois-en certain !
Erwin, dès le matin, s’était rendu au scriptorium de l’abbaye Saint-Germain en compagnie du frère Antoine pour y reprendre, avec le frère Florent et ses aides, la révision de l’Évangile selon saint Jean. Elle n’avançait pas vite. Même en ayant sous les yeux le texte restitué établi par Alcuin, l’abbé saxon était parfois pris de scrupules. Certains ajouts témoignaient d’une foi ardente, et bien des commentaires qui, à l’évidence, avaient été incorporés abusivement au récit montraient une remarquable intelligence du message johannique. Il fallait pourtant trancher et retrancher. Erwin, par consolation, se disait qu’en rendant ainsi à cet Évangile sa fraîcheur première, il en écartait sans doute une
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