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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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interprétation brillante, mais il lui redonnait la capacité d’en suggérer cent autres.
    Souvent, d’ailleurs, il s’arrêtait longuement sur un verset tandis que les scribes, pupitre sur les genoux, attendaient, plume en l’air ; il murmurait alors des réflexions que tous écoutaient, le sachant disciple d’Alcuin. Certains, discrètement, en prenaient note. Deux ou trois fois, comme frappé d’une illumination, il tomba en prières.
    A ceux qui paraissaient s’en étonner, il disait : « Comment effectuer un tel labeur, comme si chaque verset, chaque mot ne livrait pas un trésor, n’ouvrait pas aux justes les portes de la félicité éternelle ? Récemment, à Laon, nous avons eu le bonheur de rétablir en sa version correcte le De oratore de Cicéron, langue superbe, texte magnifique, esprit élevé. Mais qu’était-ce à côté de ce que nous accomplissons ici ? »
    Puis il ajoutait : « Pouvoir dire : voici le véritable Évangile selon saint Jean… n’est-ce pas une orgueilleuse audace ? Oh ! comme je comprends qu’Alcuin y ait employé tout son esprit, y ait mis toute son âme, y ait brûlé sa vie. Mais quels doutes, parfois, ont dû le tourmenter ! »
    Au milieu de la matinée, vers la quatrième heure ( 11 ), Erwin vit arriver, dans le scriptorium où il se tenait, l’évêque Aaron, solennel et l’air soucieux. Il était venu seul. L’abbé saxon, bien qu’il fût désolé d’avoir à interrompre, ne fût-ce qu’un instant, un labeur passionnant et précieux, s’avança courtoisement vers lui.
    — Crois bien que je regrette, lui dit l’évêque d’Auxerre, d’avoir à perturber un envoyé du souverain, un abbé, un érudit, un familier de l’empereur, un ami d’Alcuin, au moment où il s’adonne à une mission sacrée en ces lieux…
    Il reprit haleine.
    — … Crois bien que je ne l’aurais jamais entrepris si je n’avais pas pour cela de graves raisons. Ô combien sérieuses, en vérité ! Mais ne pourrions-nous pas nous retirer un moment dans une cellule où, loin de toute oreille indiscrète, je pourrais t’informer de ce qui me préoccupe tant ?
    Erwin, bien qu’à contrecœur, dut accepter.
    Dès qu’ils furent en tête-à-tête, Aaron reprit :
    — Il s’agit, tu t’en doutes, de ce meurtre scandaleux. Mon diocèse, hélas ! est troublé depuis de longs mois par des querelles de toutes sortes. Jusqu’à présent, la situation ne s’était pas envenimée au point d’engendrer un meurtre. Maintenant le pire est arrivé et le pire peut s’ensuivre.
    — J’espère que non, plaça le Saxon.
    — Moi aussi… Comme il se doit, le comte d’Auxerre a été chargé de l’enquête. Mais est-il pour cela dans la meilleure position, celle d’un juge impartial, d’un enquêteur d’une équité insoupçonnable ?
    — Oublies-tu que tu parles de celui qui exerce ici le pouvoir au nom de l’empereur ?
    — Je n’oublie rien. D’ailleurs, Charles ne se repose pas moins sur moi, évêque de ce diocèse, que sur Ermenold à la tête du comté, répliqua Aaron assez satisfait de lui-même. Cependant quelques remarques s’imposent : d’abord l’assassinat s’est produit non loin des terres du comté.
    — En effet.
    — Je sais qu’on ne peut en tirer aucune conclusion certaine. Mais enfin, c’est troublant. Sur ces terres et dans ces parages, Wadalde a perpétré plus d’un méfait ; il a commis notamment – j’ose à peine le rappeler – plusieurs viols dont furent victimes femmes et filles d’esclaves, et même de colons. Pour cent motifs, il a semé rancœurs, haines, désirs de vengeance. Dans de telles conditions, comment savoir quelle main a frappé ? Et pourquoi pas un homme appartenant au comté ?
    — Supposition !
    — Mais qui en vaut une autre. Ceux des Gérold et ceux des Nibelung ne sont pas les seuls qu’on puisse suspecter. Imaginons qu’Ermenold découvre quelque indice qui mettrait en cause l’un des siens.
    — Il fera son devoir de juge.
    — Je voudrais en être sûr !
    — Dois-je en entendre davantage ? gronda le missus dominicus.
    — Oui, si tu veux apprendre en quoi et pourquoi le juge Ermenold est partie prenante. Le sais-tu, mais il s’estime mal doté quant au domaine dont il bénéficie ! Sa femme, Berthe, coquette, ambitieuse, avide, le harcèle pour qu’il l’agrandisse, en prenant sur celui-ci ou celui-là… Une telle position assure-t-elle cette impartialité dont doit

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