Le guérisseur et la mort

autour de la table pour manger et deviser.
    Lorsqu’elle prononça ces derniers mots, sa voix se brisa et Isaac intervint.
    — Merci, lui dit-il, vous m’avez beaucoup aidé.
    Mais si Raquel était restée dans la cour, elle aurait su que son père était perplexe.
     
    Daniel avait passé pas mal de temps dans les bâtiments réservés aux transactions commerciales et chez plusieurs gantiers, et il se faisait tard. Ce mercredi, en fin d’après-midi, il se rendit à nouveau chez maîtresse Perla.
    — Ah, vous avez échappé à la fin du travail de blanchisserie, dit Perla d’une voix joyeuse. Je suis désolée de n’avoir pu m’entretenir davantage avec vous hier, mais ma cuisinière et mes servantes se laissent facilement distraire chaque fois que la blanchisseuse arrive. C’est désespérant.
    — Je l’ai rencontrée hier en vous quittant, dit Daniel qui ignorait dans quelle mesure Perla était au courant de son agression. Elle a eu l’amabilité de m’indiquer comment me rendre à l’entrepôt.
    — Est-ce là ce qui lui est arrivé ? Elle a subitement disparu, me laissant des brassées de linge humide, pour ne se montrer qu’une heure ou deux après. Chacun a dû s’affairer en l’attendant.
    — Elle m’a dit que du travail l’attendait de l’autre côté de la rivière.
    — Ah, je n’en doute pas. Sara est une personne étrange. Elle n’a pas toujours mené une vie exemplaire, je le crains, mais elle est robuste et travailleuse, c’est pourquoi je continue à l’employer. Sa vie n’a pas toujours été facile.
    — Vraiment ?
    — Elle fut veuve très tôt, dit Perla comme si cela expliquait tout. Elle a quitté l’île et y est revenue juste après moi. Je fais de mon mieux pour l’aider.
    Les ombres s’allongeaient et Daniel se souvint qu’il devait poser certaines questions avant de voir Mordecai. Il délaissa donc toute subtilité et se lança.
    — Maîtresse Perla, qui connaissait assez bien Rubèn pour vouloir emprunter son identité ? Pour aller à la rencontre de quelqu’un et se prétendre de sa famille, il faut savoir un certain nombre de choses.
    — Honnêtement, je l’ignore. Rubèn n’avait pas beaucoup de camarades – et aucun ami intime digne de ce nom. Les seuls garçons qu’il côtoyait étaient à l’école avec lui.
    — Que faisait-il quand il ne s’y rendait pas ?
    — Je le lui ai demandé, maître Daniel. Quand il m’a enfin répondu, ce fut pour me dire que la plupart du temps il se contentait de rester assis à contempler la mer, rêvant de s’embarquer pour quelque autre ville qui ne fût ni Séville ni Majorque. J’ai dit à Faneta que, vu son âge, il ne serait pas heureux tant qu’une jeune fille ne l’aimerait pas. Certains hommes ne sont rien sans une épouse. Je crains de ne pas pouvoir vous en dire davantage, ajouta-t-elle. C’était un garçon paisible, agité par bien des pensées, me semble-t-il, mais qui refusait d’en parler.
    Mal à l’aise d’avoir réveillé le chagrin de cette grand-mère, Daniel se leva brusquement.
    — Merci pour votre patience et votre générosité.
    — Transmettez mes vœux les plus sincères à maître Mordecai, je vous prie. Je suis heureuse ici mais je pense toujours à lui avec beaucoup d’affection.
    — Je n’y manquerai pas, maîtresse, dit Daniel en s’inclinant.
     
    Le lundi après-midi, Mordecai s’était retiré dans sa chambre et son cabinet attenant pour réfléchir aux problèmes que pourrait susciter son absence forcée. Il avait transféré des documents importants jusqu’à son cabinet, mis sa gouvernante dans la confidence, du moins partiellement, et laissé les ragots faire le reste.
    Le mardi, effrayée par les difficultés domestiques qu’elle avait déjà à résoudre et convaincue que son maître était réellement malade, quoi qu’il pût dire, la gouvernante avait appelé au secours maître Isaac.
    — Je ne savais pas quoi faire, lui avoua-t-elle. Surtout que maîtresse Blanca et maîtresse Dalia sont toutes deux à Barcelone, que maîtresse Dalia ne rentrera pas avant au moins une semaine. Il m’a dit que je devais faire venir cette autre personne, mais je n’ai pas trop confiance…
    Isaac lui enjoignit d’obéir scrupuleusement à son maître, puis il lui murmura des paroles de réconfort, resta un instant auprès de son patient, lui laissa plusieurs remèdes et s’en alla.
    En dehors du médecin et de la gouvernante, nul n’avait le